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LE DÉMANTÈLEMENT

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Dur de se séparer de son seul compagnon...

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Gaby est un taiseux qui compte (pour) ses moutons


«J'AI ESSAYÉ D'EXPLIQUER AUX MOUTONS QU'ON ÉTAIT SAMEDI, ILS N'ONT PAS COMPRIS»

Texte: Valérie Lobsiger


Un film de Sébastien Pilote, Canada 2013, 113'
Prix SACD, prix de la critique Cannes 2013

Sur les écrans suisses alémaniques à partir du 3 juillet. A Zurich, au Filmpodium.


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«Les pères doivent toujours donner pour être heureux», c’est ce que pense Gaby Gagnon, (expressif Gabriel Arcand), éleveur de moutons depuis quarante ans, seul à la tête de la ferme paternelle quelque part dans la campagne du Québec, à 6 heures de route de Montréal où vivent ses deux filles Marie (Lucie Laurier) et Frédérique (Sophie Desmarais).

La ferme ne lui rapporte que 10 000 dollars par an mais Gaby semble se satisfaire de cette vie qui comble tous ses modestes besoins sans jamais lui offrir ni vacances ni jours fériés. Quand un jour, porteuse d’une demande, débarque Marie, mère de deux adorables bambins qui n’adorent rien tant que de donner le biberon aux agneaux, Gaby n’hésite pas. En instance de divorce, elle a besoin de 200'000 dollars pour garder son foyer? «J’vas m’occuper d’vous autres !» lui répond ce père qui culpabilise de n’avoir jamais pu gâter ses enfants. Et de décider de «démanteler» sa ferme en la mettant aux enchères (fascinant commissaire priseur qui déroule ses offres dans une langue chantante qu’on peine à comprendre). Mais comme lui dit son fidèle ami Louis (Gilles Renaud), une fois les hypothèques remboursées et l’aide financière à Marie avancée, il ne lui restera plus grand-chose pour vivre. Qu’importe, Gaby est prêt à tout pour que ses filles puissent continuer à mener la vie qu’elles ont choisie (on devine alors que lui n’a peut-être pas eu ce choix)…

Vers une précarisation de l'ensemble de la société.
Il n’y a pas si longtemps, quand on était issu d’un milieu modeste, on travaillait dur mais on réussissait à mettre de côté quelques économies dans l’espoir que la génération suivante s’en sortirait mieux. Ce temps-là est bien révolu. Non seulement on vit à crédit mais on hypothèque l’avenir. La preuve par Marie, endettée, qui n’est propriétaire ni de sa maison, ni même de sa voiture. Pour Gaby, c’est le travail de toute une vie investie dans l’exploitation (alors même que son père lui a toujours répété qu’une ferme, «ça ne se vend pas, ça se transmet») qui part en fumée, sans même la perspective d’une retraite. A vrai dire, Gaby ne peut pas s’offrir le luxe de s’arrêter de travailler. Une fois tout payé, il ira vivre «temporairement» dans un baraquement en préfabriqué, à quelques kilomètres de l’autoroute. Mais s’il ne retrouve pas vite du travail, son triste et minuscule logement risque fort de tourner à la solution définitive. On ne peut pourtant s’empêcher d’admirer ce Gaby qui, à 63 ans, n’hésite pas à repartir de zéro par amour pour ses filles. L’une pourra préserver son cadre de vie, l’autre s’accomplir dans la carrière de comédienne qu’elle a choisie. Ce naïf au grand cœur qui se traite lui-même de vieux «niaiseux» (belle expression québécoise) bouleverse. Ne voilà-t-il pas qu’il croit que, parce qu’il a vendu sa ferme, sa femme, dont il a divorcé il y a 20 ans, va lui revenir ?!

Hélas les temps ont changé même si lui s’accroche désespérément au passé. Et l’investissement dans l’immobilier ne préserve plus des aléas. La crise américaine des subprimes est passée par là. Pourtant, si Gaby perd ce dans quoi il a investi et qu’il pleure à l’idée d’abandonner ses moutons (et son chien), on sent poindre un certain soulagement car dans le fond, il se débarrasse du boulet transmis par son père. Et puis, mieux ne vaut-il pas vendre maintenant sa ferme au meilleur prix plutôt que d’attendre de devenir trop vieux et/ou de tomber malade ?