→ CINÉMA

DER GOALIE BIN IG

2DER GOALIE 280

Goalie une couleurs

Regula (Sonja Riesen) et Ernst (Marcus Signer)  s'embarquent vers un bonheur plus qu'incertain


UN FILM DE SABINE BOSS, D'APRÈS LE LIVRE DE PEDRO LENZ

Texte: Valérie Lobsiger


Film suisse, 2014, 92'
Il a décroché presque tous les prix du cinéma Suisse 2014: meilleur film, meilleur acteur, meilleur scénario, meilleure musique.

A voir à Locarno dans Panorama suisse, en Suisse romande et dans certains open-airs etc.

Le goalie, autrement dit, la bonne pomme... Nous, on a beaucoup aimé croqué dedans. Car Ernst, le goalie est un mec qui reste digne!


→ PRINT


ON N’EST PAS DÉPAYSÉ dans ce film qui, même s’il se déroule dans les années 80, nous parle des gens que nous côtoyons et d’une Suisse alémanique que nous connaissons pour y vivre. La langue résonne agréablement familière à nos oreilles (même si nous jurons par ailleurs combien elle nous les écorche) et on apprécie les dialogues pleins de réparties frondeuses. Avouons-le, à notre grande satisfaction, on retrouve épinglé le voisin de service volontiers donneur de leçon, tel ce vieux bonhomme qui ripoline sa voiture le dimanche et ordonne à l’autre de ne pas faire tourner son moteur pour ne pas polluer l’air. Pour le reste, la bêtise, la couardise, l’égoïsme et l’âpreté au gain sont les mêmes que partout ailleurs. Même s’il se retrouve lâché par tous, le héros n’en abdique pas pour autant des valeurs en voie de disparition telles que la fidélité et la loyauté en amitié. Ça paraîtra peut-être ringard à certains, mais à nous, cela a procuré beaucoup de réconfort.

APRÈS AVOIR ÉCOPÉ D’UN AN DE PRISON, Ernst (excellent Marcus Signer, Bernois) revient dans son village natal de Schummertal (on reconnaîtra les bistrots de Langenthal). Il remarque vite que les autres le fuient (sauf Regula (Sonja Riesen, Bernoise), pour laquelle il ne va pas tarder à en pincer). Sa réinsertion s’avère difficile mais il accepte un petit boulot et décide de se tenir loin des drogues. On découvre qu’il n’a pas voulu livrer le nom d’Ueli (Pascal Ulli, encore un Bernois!), son plus vieux copain d’enfance, qui l’a envoyé chercher à sa place une livraison de came en pays romand. A l’occasion d’un séjour en Espagne où un de ses potes lui a prêté une maison et où il a entraîné Regula, il commence à se poser des questions sur l’enrichissement singulier et très opaque du ou même des propriétaires de la maison…

LA HIÉRARCHIE ÉTABLIE DANS L’ENFANCE reste peu ou prou la même une fois devenu adulte, comme le montrait récemment encore le film The Reunion d’Anna Odell (voir notre article). Il est significatif à plus d’un titre qu’un surnom tel que «Goalie» (gardien de but) colle à la peau d’Ernst. Si chacun au village le nomme ainsi, ce n’est pas parce que, dans son enfance, il a été relégué aux buts (rôle le moins valorisant dans une équipe de foot, apprend-on, du moins parmi les enfants qui rêvent tous de marquer des buts). Non, c’est parce qu’il a pris un jour la défense d’un gringalet aussi chétif que craintif qu’on s’apprêtait à tabasser en groupe parce qu’il avait échoué à arrêter les balles de l’équipe adverse. Ernst s’étant interposé, et ayant encaissé les coups à la place de l’autre, il est resté dans la mémoire de tous comme le «goalie», autrement dit, la bonne pomme. Du fruit tout cuit (pomme ou poire) au bouc émissaire, il n’y avait qu’un pas que ses petits camarades n’ont pas hésité à franchir. On apprécie qu’Ernst reste supérieurement digne, aidé en cela par un humour ravageur qu’il garde en toute circonstance et lui évite de s’apitoyer sur lui.

VL 1.05.2014