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DIPLOMATIE DE VOLKER SCHLÖNDORFF

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Devant l'hôtel Meurice

Les dialogues, percutants, soulèvent de nombreuses questions d’une brûlante actualité: faut-il obéir à un ordre inique ? Que vaut une vie humaine ? Pourquoi se venger sur des civils ?

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Deux grands acteurs déploient leurs talents dans un afrontement verbal maîtrisé.


PARIS FACE À LA DÉBÂCLE ALLEMANDE DE 1944

Texte: Valérie Lobsiger


DIPLOMATIE, DE VOLKER SCHLÖNDORFF
Le dernier film de la série French Touch.
Avec Niels Arestrup et André Dussolier

Sortie le 5 septembre 2014 sur les écrans suisses alémaniques

En avant-première le jeudi 21 août au Lunchkino en présence de Volker Schlöndorff


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MEME SI ON CONNAÎT L’ISSUE DE L’INTRIGUE (Non, Paris n’a pas été anéanti dans la nuit du 24 au 25 août 1944), on n’en demeure pas moins scotché à son fauteuil tout le long du film. C’est que Cyril Gely, l’auteur de la pièce adaptée à l’écran par Schlöndorff, a eu une idée tout à fait plausible et sidérante, même si elle relève de la fiction. Mais jugez plutôt: par une certaine nuit d’août 44, les Alliés ne sont plus qu’à 2 heures de route de Paris. A l’hôtel Meurice réquisitionné pour héberger le gouverneur de Paris, le général Dietrich von Choltitz (Niels Arestrup), c’est la pagaille, pour ne pas dire la panique. Le général a reçu l’ordre d’Hitler de faire non seulement sauter tous les principaux monuments et gares de Paris, mais aussi 33 ponts, histoire de provoquer une sorte de tsunami qui submergera la capitale et ses habitants en 20 minutes seulement.

Arrivé par un escalier dérobé, le Consul de Suède Raoul Nordling (André Dussolier) a tout entendu derrière une glace sans tain. En sa qualité de médiateur neutre, il tente de convaincre le général de désobéir à un ordre qui «stratégiquement n’a aucun sens», puisque les Allemands ont de toute façon perdu la guerre, et qui de plus est absurde puisqu’il fera perdre la vie à deux millions de civils…

L’EXTREME TENSION QUI HABITAIT LA PIECE, interprétée d’ailleurs par les deux mêmes acteurs principaux, est parfaitement transposée à l’écran: d’une minute à l’autre, Paris peut être pulvérisée puisque, depuis la Chambre des Députés, le lieutenant Hegger n’attend plus qu’un ordre téléphonique du général pour déclencher le torpillage. Dès lors, chaque seconde passée à réfléchir dans l’urgence à un argument de poids susceptible de dissuader le général pèse dans ce duel qui se veut courtois. Pas question en effet pour Nordling de céder à la colère, la menace ou la panique alors que l’autre, comme dans les films de James Bond, a le doigt sur le bouton fatal. A la différence des ennemis de 007 cependant, celui-ci n’est pas la caricature du Grand Méchant mais un homme tout en nuances, un personnage profondément humain avec ses multiples aspirations et contradictions. Les dialogues, percutants, soulèvent de nombreuses questions d’une brûlante actualité: faut-il obéir à un ordre inique ? Que vaut une vie humaine ? Pourquoi se venger sur des civils ? Une infraction au droit international de la part d’un des belligérants autorise-t-elle l’autre à l’enfreindre aussi ? Tous les moyens sont-ils bons pour remporter la victoire ? Que vaut le pouvoir de détruire face à la possibilité d’édifier ? Lorsque von Choltitz parle de la «Sippenhaft» et se met à évoquer son cas particulier (il est impuissant face à une loi nazie qui prend en otage la famille de tout haut gradé à qui viendrait l’idée de désobéir), on devine que son assurance de façade commence à se fissurer. Le fait que la «Sippenhaf » soit une pratique résurgente un peu partout au monde n’est pas fortuit. On pense bien sûr aux crimes de guerre commis par Bachar El-Assad en Syrie depuis trois ans ou encore aux interventions militaires de Poutine en Ukraine sur la base de mensonges visant à maintenir coûte que coûte dans leurs privilèges des hommes auxquels l’ampleur de leurs pouvoirs a fait perdre tout sens des valeurs morales. Par rapport au huit-clos de Cyril Gely, le film s’enrichit de documents d’archives, de scènes à la Chambre des Députés ou encore de vues splendides de Paris au petit matin. Dans ces conditions, la chanson du générique de fin «J’ai deux amours, mon pays et Paris», interprétée par la chanteuse américaine Madeleine Peyroux, réussit à toucher en nous des fibres patriotiques insoupçonnées.

VL août 2014