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ON NE VOYAIT QUE LE BONHEUR

couverture On ne voyait que le bonheur

 

 


DÉCIDÉMENT, GRÉGOIRE DELACOURT RESTE PROCHE

Texte: Valérie Lobsiger


On ne voyait que le bonheur, de Grégoire Delacourt
Editions JC Lattès, 360 p., août 2014


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Décidément Grégoire Delacourt reste proche des souffrances de Monsieur Tout-le-monde. Après s’être mis dans la peau d’une mercière chanceuse au loto (La liste de mes envies), puis dans celle d’une pulpeuse démonstratrice au rayon charcuterie lasse de ne provoquer que la concupiscence des hommes (La première chose qu’on regarde), l’écrivain se met ici à la place d’un expert en assurances qui se sent méprisé de tous et finit par péter un plomb. Si on n’avait pas trop adhéré au précédent roman pour cause de manque de parti pris (sous couvert d’apologie de la vie simple, l’auteur ne se payait-il pas la tête de ses personnages?), on a en revanche mieux apprécié celui-ci, à la démarche à notre avis plus sincère. L’auteur a voulu en effet savoir de l’intérieur ce que ça faisait de se sentir tout le temps une «crotte de bique». Et là, pari réussi, le lecteur est aux premières loges. Son effort de compréhension le rapproche du narrateur, et au final, le rend plus sensible au sort de ses semblables.

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ANTOINE EST «PAYÉ POUR PAYER LE MOINS POSSIBLE». Expert en assurance, il doit évaluer les dommages et les vies, en tâchant de débusquer les escroqueries. Tâche qu’il remplit parfaitement, mais qui le mine intérieurement car il est conscient d’agir à l’opposé de ce que lui dicte sa compassion naturelle. Il souffre en outre, deuxième distorsion, d’un manque d’amour congénital: sa mère a abandonné très tôt le foyer à la suite d’un drame familial et son père ne s’est jamais battu pour lui ni pour personne (il n’a même pas cherché à retenir sa femme, ce dont le narrateur lui tient grief). Résultat: il ne s’aime pas et vit avec la honte de ne jamais oser agir (il parle de «lâcheté atavique»). «Ma lâcheté trouve son origine dans cette colère qui ne sort pas» confesse-t-il. D’un chapitre à l’autre, il n’ose jamais exprimer sa colère, et ce malgré toutes les vicissitudes qui s’abattent sur lui et vont s’accumulant. La tension monte dangereusement jusqu’à ce que la rage d’Antoine devienne impossible à réfréner… Mais là ne s’arrête pas le roman. Il y a une deuxième partie (et même une troisième, à l’humour délectable malgré le tragique de la situation), qui fait place à la résilience et une certaine forme de paix, à défaut de bonheur.

CAR QU’EST-CE QUE LE BONHEUR? Une vie à «boire des blood and sand au bar d’un hôtel au nom imprononçable au Mexique ou ailleurs»? Certainement pas, même si la publicité, avec ses images racoleuses de plages à cocotiers, voudrait nous le faire croire. Le narrateur ira cependant jusqu’au Mexique pour approcher son idée obsessionnelle de ce bonheur de papier glacé. Car mieux vaut tenter de réaliser ses rêves quels qu’ils soient, que de passer sa vie à rêver qu’un jour on les réalisera, semble dire l’auteur (publiciste de métier, est-il besoin de le rappeler?). En tout cas, une chose est sûre, cela ne se chiffre pas: c’est ce qu’évoquent laconiquement les titres de la première partie portant chacun sur une somme d’argent. Cela ne se capture pas non plus à l’aide d’un appareil photo qui ne fait, lorsqu’on prend la pose, que témoigner de moments mensongers. Dans «On ne voyait que le bonheur», ce sont tous ces mensonges que nous accumulons en voulant nous présenter aux autres sous un certain jour qui, pour finir, sautent aux yeux.