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UN ROMAN DE KARIN TUIL

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L’INVENTION DE NOS VIES

Texte: Valérie Lobsiger


Quel est le prix à payer pour s’inventer une nouvelle vie?


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L’AMBITION SOCIALE, LE DESIR DE PLAIRE pourrit nos vies, en nous contraignant à adopter des choix en fonction des autres et non de nous-mêmes. C’est ce qu’on conclut à l’achèvement de ce neuvième roman de Karine Tuil, acéré telle la pointe d’un couteau braqué sur notre poitrine. D’où un style saccadé de phrases virulentes ponctuées de virgules à répétition, comprenant des juxtapositions de substantifs, adjectifs ou verbes marchant en général par trois, écrites comme dans l’urgence histoire d’aller à l’essentiel. Qu’est-ce que réussir? Quels sacrifices est-on prêt à accepter pour satisfaire son ambition? Voici les questions-clés de ce roman qui aborde beaucoup d’autres thèmes, parmi lesquels la discrimination sociale, la trahison en amitié, la soumission des femmes (même cultivées, même diplômées) au désir des hommes, l’endoctrinement fanatique, l’atteinte considérable portée aux libertés individuelles aux Etats-Unis depuis l’attentat du 11 septembre, la création littéraire…

NE ARABE ET MUSULMAN en France dans un milieu défavorisé, Samir Tahir a effacé ces deux traits fondamentaux de son identité par ambition et soif de respectabilité sociale. Pour cela, il a emprunté la biographie de son meilleur ami de l’époque estudiantine, Samuel, auquel il avait volé sa petite amie Nina avant de disparaître de leur vie. Devenu aux Etats-Unis et 20 ans plus tard un brillant avocat respecté de tous, il a réussi à épouser une femme juive, fille d’un des plus riches et influents homme d’affaires new-yorkais. Comment a-t-il donc procédé? Pour obtenir un premier emploi dans un cabinet d’avocats impossible à décrocher pour un Arabe, même doté d’un sens juridique exceptionnel, il s’est résolu à enlever le «r» final de son prénom dans son CV. Tout s’est ensuite enchaîné naturellement, chacun assumant qu’il était juif. Physiquement, rien ne ressemble-t-il pas plus à un Juif qu’un Arabe? Si tout semble lui réussir (sa part d’ombre lui crée même une aura de mystère dont il sait tirer parti auprès des femmes), son passé ne tarde pas à le rattraper tant il est difficile de renier la part essentielle de sa personnalité. Samir tombera-t-il à cause de Samuel, de Nina, d’une de ses nombreuses maîtresses, d’un concurrent mal intentionné, d’un beau-père qui le hait ou d’un demi-frère loser, jaloux de sa réussite? La tension s’amorce dès le début de l’intrigue et ne fait que croître. Traqués par leurs points faibles, Samuel, Samir et Nina vont devoir se libérer, chacun à leur façon, de leurs chaînes. Chacun de nous n’en est-il pas plus ou moins là?
VL septembre 2014