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UN LOUP POUR L'HOMME

GITAUD

 

 


QUAND ON SE RETROUVE APPELÉ EN ALGÉRIE EN 1960...

Texte: Laurence Hainault Aggeler


Un loup pour l’homme, Brigitte Giraud
Paru chez Flammarion, 2017

Elle sera bientôt à Zurich pour nous parler de ce livre!

Organisation et présentation: Martine Grosjean

Mercredi 27 février, 19h30
Literarischer Club
Gemeinschaftszentren Hottingen
Gemeindestr. 54
8032 Zürich
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Brigitte Giraud est née à Sidi-bel-Abbès en Algérie et vit actuellement à Lyon.

En 1997, elle publie son premier roman, «La Chambre des parents». Plusieurs livres suivront, romans, récits ou recueils de nouvelles. Elle obtient le prix Goncourt de la nouvelle pour «L’amour est très surestimé» (Stock 2007), le prix du jury Giono pour «Une année étrangère» (Stock 2009) et la mention du prix Wepler pour «À présent» (Stock 2001).  En 2013, elle publie «Avoir un corps» et en 2015, «Nous serons des héros».

Ses livres sont traduits dans une quinzaine de langues.

Ce roman se base sur une histoire vraie, celle de son père, appelé en Algérie. Comme elle le dit, il a été long à écrire, «c'est le roman de toute une vie».


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Printemps 1960. La guerre d’Algérie. Brigitte Giraud décrit un microcosme: l’hôpital militaire de Sidi-Bel-Abbès où le temps se traîne. Peu de combats dans son roman, mis à part ceux reliés aux interventions sanitaires, mais un quotidien banal qui se répète dans un climat psychologique plombé.

PEUR DE L'AUTRE, PEUR DE SOI
La détresse psychique de l’attente, le calvaire enduré par les blessures, les chagrins sentimentaux dus à l’abandon des fiancées restées en France, toutes ces souffrances enlèvent aux hommes leurs illusions et une part de leurs scrupules. Les mesquineries d’une existence militaire séquestrée fixent ainsi la ligne du récit alors que les menaces se précisent après chaque expédition. La peur grandit. Peur de l’autre. Peur de soi. Avec en toile de fond, la beauté paradoxale des paysages dont on ne peut s’empêcher d’admirer la lumière.

RÉSISTER ET ATTENDRE
Les héros sont Antoine, infirmier en chef, et sa femme Lila, qui le rejoint, car elle attend un enfant. Le récit de leur passion court en filigrane tout au long du livre. «Il est violent d’aimer dans ce moment-là!». Puis, lentement, les deux êtres pudiques prennent conscience d’une force de résistance issue de leur amour; ils laissent graviter autour d’eux les personnages secondaires. Nous suivons ainsi le destin d’Oscar, amputé d’une jambe. Réfugié dans son «mutisme têtu», le jeune caporal dévoile très tard son expérience tragique. Antoine, qui l’aide à «tout réapprendre» depuis des mois, recueille une confession laborieuse. Le soignant se sent alors investi d’une mission de sauvetage psychologique. Nous découvrons également le meilleur ami d’Antoine, le cuisinier Martin, dont la bonne humeur forcée s’amenuise lentement,  et les appelés de plus en plus anxieux, malgré les blagues salaces du grand Ludo, les tics hilarants de Victor et les discours communistes d’Ivan que personne n’a envie d’écouter.

L’ABSURDITÉ D'UNE IMPASSE
Quant au  personnage du colonel Tanguy, directeur de l’hôpital, il s’impose de page en page et ses exigences démesurées cachent la gravité de son déséquilibre. Trop conscient de l’absurdité d’une impasse dans laquelle tous se retrouvent piégés, il finira par perdre la raison au retour des dernières manœuvres. «Il fuit, car il n’en peut plus de toute cette jeunesse déglinguée».

PERSONNE N'EN SORTIRA INDEMNE
Le style fluide, sensible, descriptif, touche par sa simplicité de narration et une délicate distance qui permet de tout évoquer. Si les faits n'apparaissent pas nouveaux, l'écriture donne de la densité au propos. L’auteur ne formule aucun jugement, aucune condamnation. Harkis, fellaghas, Français sont pris dans les rouages d’une guerre atroce. Bourreau et victime tour à tour, chacun devient alors «un loup pour l’homme». Personne n’en sortira indemne. Et quand elle rentrera à la maison, «cette génération embarquée dans une histoire qui n’était pas la sienne» gardera éternellement le silence sur l’inacceptable.  L.H.A 01/2019