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RICHARD DINDO

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RICHARD DINDO, LE MAÎTRE DU RÉEL, FÊTE SES 70 ANS

Propos recueillis par Sandrine Charlot Zinsli


Le cinéaste Richard Dindo vit entre Zurich et Paris. Il vient de recevoir le prix «Maître du réel» pour l'ensemble de sa carrière au festival Visions du réel. C'est la première fois que ce prix était décerné.

En savoir plus: Le festival Visions du réel


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SCZ: Tu viens d’être sacré premier «Maître du réel» au dernier festival de Nyon, et la Cinémathèque, à Lausanne, t’a consacré une belle rétrospective en projetant une grande partie des 34 films que tu as réalisés. A bientôt 70 ans, est-ce que cette reconnaissance suisse, peut-être un peu tardive, est importante pour toi?

RD: J’ai reçu ce prix des mains du directeur du festival de Nyon qui est italien, et Nyon, ça se trouve en Suisse romande à ce que je sache… Cela correspond tout à fait à la logique de ma vie et de mon destin. Les prix, ça compte beaucoup… pour les autres. Quant à moi, on peut bien avoir fait 34 films dans sa vie et avoir marqué deux générations de spectateurs et de cinéastes, ce qui compte, ce sont les prix, dont j’ai effectivement peu été gâté. Faut dire aussi que mon orgueil et mon sens de la dignité, m’ont toujours empêché de courir après la reconnaissance et les mondanités.

SCZ: Après «L’exécution du traître à la patrie Ernst S.», la rébellion des jeunes en 1980 à Zurich, y-a-t-il encore des questions qui dérangent sur la Suisse et son histoire que tu aimerais aborder?

RD: Non, la Suisse s’est épuisée pour moi. On ne peut pas faire des films pendant 5O, 6O ans dans un pays aussi petit et objectivement aussi inintéressant. Ce pays n’a pratiquement pas de problèmes, et si tout le monde payait normalement ses impôts, aussi les riches et les entreprises, ce pays serait carrément un «Schlaraffenland», matériellement parlant.

SCZ: Image. Texte. Œuvres.
Tu déclines ton travail de mémoire et d’hommage à certaines figures de la littérature ou de la peinture de façon très personnelle et en te basant souvent sur l’écrit. Ton prochain film, qui sera je l'espère, présenté à Locarno, «Homo Faber», est à nouveau une ode au texte de Max Frisch. Une voix masculine oriente notre regard sur trois femmes et le destin tragique de l’une d’entre elle, sans doute la plus aimée, Sabeth, dont la vie s’arrête tragiquement. Pourquoi revenir à Max Frisch ?

RD: «Homo Faber», le personnage du livre avait sur ses voyages une caméra Super-8 avec lui. Cela m’a permis de faire un film «subjectif», c’est-à-dire, les images sur les trois actrices sont quasi filmées par lui-même et les femmes regardées par lui qui de leur côté le regardent  à travers son objectif et derrière sa caméra. Ensuite Faber décrit ses images avec des phrases du livre, ça veut dire qu'un acteur lit en off des phrases de Frisch. Cela m’a permis d’aller au bout de mon entreprise de cinéaste-lecteur, qui consiste à créer un rapport dialectique entre les images et les paroles. Les images montrent ce que les paroles ne savent pas dire et celles-ci disent ce que les images ne peuvent pas montrer.

SCZ: «Documentariste». C’est un mot  qui sonne mal. Comment définis-tu ton travail ?

RD: Pourquoi cela sonnerait-il mal?  Le documentaire est aujourd’hui souvent à l’égal de la fiction et presque toujours plus utile, plus nécessaire, plus urgent, plus humain que la «fiction». Quant à moi, je m’intéresse à la mémoire et au langage. Souvent mes sujets m’obligent à quitter le terrain du documentaire, à le déborder et à le «fictionaliser», avec des actrices  par exemple comme dans cet «Homo faber». Je m’intéresse de plus en plus à ce débordement et à cette réflexion sur la «fictionalisation» du documentaire.

SCZ: Et quel est le qualificatif qui te décrit le mieux ? Mélancolique, rebelle, farouche …

RD: Tout cela à la fois. Intransigeant aussi, totalement libre, de plus en plus puriste, «indomptable» et «mélancolique» dans le sens proustien du terme, celui de la «la Recherche du Temps perdu» et de l’idée de Proust que le temps «perdu» ne peut être retrouvé que grâce à une œuvre d’art. C’est ce  que j’ai encore fait, mieux que jamais il me semble, dans ma lecture du «Homo faber».

SCZ: Comment nait un film? Est-ce qu’il y en a un qui est en gestation?

RD: J’ai pensé à ce projet de «Homo faber» et j’en ai rêvé pendant trente ans, jusqu’à ce que je sois absolument sûr de mon fait. Mon prochain projet sera un film sur le poète japonais Basho, «père spirituel» de la poésie haïku. Je travaillerai de nouveau avec un acteur avec qui je traverserai le Japon du 17ème siècle. Ce sera un film sur la méditation, sur le regard sur soi-même, sur la nature et sur les autres, à travers la cérémonie japonaise, commenté par le «Journal de Voyage» de Basho et ses haïkus. Un nouveau projet «fondamental» pour moi qui me permettra d’aller encore plus loin sur ma réflexion entre documentaire et fiction. Ce sera un film en même temps profondement poétique, mais aussi pas mal «philosophique», si j'ose dire, car dans l'art véritable, il y a toujours une pensée, une réflexion sur la réalité, sur la vie et la mort.

Ja, mit Preisen sei er ja nicht gerade überhäuft worden, sagt Richard Dindo, obwohl er mit seinen bisher 34 Werken zwei Generationen von Filmliebhaberinnen und Filmliebhabern geprägt habe. Aber sein Stolz verbiete es ihm, Preisen nachzurennen. Lieber spricht er von seiner filmischen Lektüre von Max Frischs «Homo Faber», der in Locarno uraufgeführt werden soll. Und er erzählt von seinem nächsten Projekt, das den berühmten japanischen Haiku-Dichter Basho als Zentrum haben wird. Philosophisch und poetisch zugleich soll dieser Film werden.

(SCZ/ Mai-juin 2014)