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DANIEL DE ROULET

Coups 2014 Daniel de Roulet portrait 280Lieux 2014 deroulet livre 280

À PROPOS DE SON DERNIER LIVRE «LE DÉMANTÈLE-
MENT DU COEUR»

Propos recueillis par Valérie Lobsiger


Paru aux éditions Buchet-Chastel en avril 2014
www.buchetchastel.fr

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Für eine kurze Zusammenfassung auf Deutsch, siehe unten

VL:Vous qui êtes un scientifique, comment votre intérêt pour la littérature est-il né?

D De R: En fait, j’ai commencé par la littérature avec une maturité latin-grec. Les gens pensent que la science et la littérature sont deux cultures opposées. Or je suis passé en permanence de l’une à l’autre ; j’ai choisi l’architecture parce qu’elle se situe entre les deux. Mes copains scientifiques achètent mes livres mais ne les lisent pas car pour eux, la fiction, c’est le mensonge. Je m’efforce de dire qu’il y a autant de fiction dans la science que l’inverse. Voici une anecdote pour illustrer mon propos, concernant les frères Montgolfier. Ces derniers pensaient que c’était la fumée noire et non l’air chaud qui faisait monter un ballon ! Et puis me vient en mémoire encore celle-ci : dans mon enfance, le cordonnier avait un appareil à rayons X qui permettait de voir si le pied touchait ou non le bout de la chaussure. Les gosses raffolaient de cette machine qui leur permettait de contempler leur squelette ! On ignorait alors que l’exposition aux radiations ionisantes pouvait être dangereuse pour la santé.

VL: L’idée d’écrire «La Simulation humaine» ne vous est-elle venue qu’après la parution de Bleu Siècle en 1996 ou la poursuiviez-vous dès le départ?

D De R: J’avais déjà l’idée d’écrire une série que j’avais intitulée La Série bleue. Ce n’est que plus tard que je l’ai baptisée la Simulation humaine en voulant parodier Balzac ou Malraux. Comme je manque d’imagination pour inventer de nouveaux pesonnages, j’ai trouvé pratique d’utiliser les personnages de la précédente généalogie en leur ajoutant un peu de vie. Il est important pour moi de constituer pour chaque personnage une fiche signalétique digne au moins de la police !


VL: Pourquoi mettre maintenant une fin à «La Simulation humaine»?

D De R: La complexité devient telle que je commence à m’y perdre ! J’ai tué deux des personnages principaux. J’ai envisagé un moment de tuer aussi Shizuko qui se serait noyée au fond d’un lac avec son fauteuil roulant. Mais je me suis trop attaché à elle. Et puis, je vais dire quelque chose en totale contradiction avec ce qui précède mais j’ai maintenant trop d’imagination romanesque. Je peux me coucher le soir avec une idée et la visualiser si bien qu’elle me sert le lendemain de matériau pour développer et mener à bien une histoire.

VL: «L’immense solitude du mâle vieillissant que les femmes oublient de regarder» que vous prêtez à Max, vous la ressentez?

D De R: Dans une certaine mesure, oui. Mais c’est moins grave pour les hommes que pour les femmes. Elles, elles deviennent carrément transparentes. J’aborde à travers Max, et en l’exagérant, le thème de la vieillesse. Il y a vingt ans, j’ai écrit un texte intitulé Bleu Siècle, l’histoire d’une centenaire. La décrépitude du vieillard m’a toujours fasciné et je me rends compte à présent qu’elle est en train de devenir la mienne.

VL: A propos de Max von Pokk, c’est plus ou moins votre double, non?

D De R: Socialement, oui. Mais la ressemblance s’arrête là (je ne dessine pas, je n’habite pas aux États-Unis…). J’ai mis un peu de moi dans tous mes personnages.
Je n’ai que rarement des personnages repoussoir. Ou alors, si j’en ai (Tita Zins, Reagan…), ils ne me demandent pas beaucoup d’effort et ils sortent tels quels.

VL: Avez-vous mis comme Max votre savoir au service d’une cause?

D De R: En littérature, on ne fait pas de différence entre militant et engagé et c’est un tort. Des écrivains non engagés, il n’y en a pas beaucoup, mais il y en existe : tous ceux qui n’ont pas opéré dans leur écriture le passage du «je» au «il», selon l’expression de Kafka qui dit que la littérature ne commence que lorsqu’elle est capable de passer du Je au Il.
En ce sens, je suis un écrivain engagé. Mais je ne suis pas pour autant militant. Et lorsque je le suis (en ce qui concerne par exemple le nucléaire), je ne le suis en tout cas pas dans mes livres. Un roman militant, c’est particulièrement indigeste et pénible.

VL: Le Rouge et Le Noir est l’enseigne de l’auberge où les anciens amants se sont donné rendez-vous. C’est aussi le titre du roman de Stendhal. Un livre qui vous a marqué?

D De R: Tous les chapitres de mon livre portent des titres de chapitres de cette œuvre de Stendhal. Quand j’ai commencé à écrire Le Démantèlement, j’avais introduit beaucoup plus de références en raison du fait que Max se voit comme un héros stendhalien, il se prend pour Julien Sorel. Mais je les ai supprimées car premièrement, c’était beaucoup trop lourd et, deuxièmement, ça sonnait faux.
Pour ma part, je suis incapable d’être stendhalien c’est-à-dire héroïque à plein temps. Je revendique la position du courage intermittent. Si j’étais Julien Sorel, je m’arrangerais pour que mon crime ne se sache pas. La posture héroïque n’est pas la mienne.
Ceci dit, j’ai relu le roman et j’ai découvert que c’est une œuvre beaucoup plus politique qu’on ne le croit. C’est un livre à thèse sur l’emprise de l’église et des bourgeois, sur la jeunesse de 1830.

VL: Pensez-vous que les parents ne font rien guère de plus qu’engendrer leurs enfants?

D De R: Les enfants appartiennent à ceux qui les élèvent. Or souvent mes personnages n’ont pas élevé leurs enfants. Mirafiori, en prison, n’a pas pu être père. Max n’a pas eu d’enfant sauf Mirafiori dont il ne s’est pas occupé.
C’est idiot de dire qu’on est fier de ses enfants, ils ne sont pas notre œuvre. On ne peut être fier que d’un choix, d’une relation, d’un travail. Sûrement pas de son pays ou de ses enfants.

VL: Quelle est donc l’importante question que Max voulait poser à Shizuko ? Et celle de Shizuko?

D De R: Il n’y en a pas. Les deux personnages éprouvent le besoin de se rencontrer avec l’idée que maintenant, il leur faut être sincère. Ils en ressentent l’urgence et l’importance sans que cela se matérialise forcément par des mots. Cette question, elle pourrait être aussi simple que : «toi aussi?»

VL: Quelle est cette mafia japonaise reconnaissable à un petit doigt coupé et qui s’occupe de la sous-traitance? Pourquoi est-elle tolérée?

D De R: Ce sont les Yakuzas. Par leur activité sociale très intense et diversifiée, ils ressemblent aux Frères musulmans. Ils possèdent de nombreuses entreprises de construction, des boîtes de jeux, des trusts…Lors du tsunami, ils ont mis à disposition leurs infrastructures et de la main d’œuvre de sous-traitance pour aider à contenir les effets de la catastrophe nucléaire. Vraisemblablement aussi, afin d’effacer certaines traces compromettantes pour Tepco, la compagnie japonaise pourvoyeuse d’énergie électrique…

VL: Qu’est-ce qui vous fascine tant dans le Japon?

D De R: C’est un pays qui m’étonne. Ses codes culturels et sociaux sont difficiles à décrypter, du moins pour moi. Les Japonais ont un mode d’expression des sentiments totalement différent du nôtre, il y a toujours de la violence dans les rapports. C’est un monde pour lequel j’éprouve une extériorité absolue.

VL: Ce que vous dites à propos de Superphenix dont le réacteur est en phase de démantèlement à Malville est-il basé sur des faits réels? D’où viennent vos informations?

D De R: Je me suis rendu sur place et n’ai inventé ni la sortie des 500 kg de cuivre (volés et revendus), ni l’invasion de faux terroristes au nez et à la barbe du service de sécurité. Cela rend dans ces conditions plausible la disparition de plutonium que j’ai par contre imaginée. Notez qu’en France (tout comme en Chine ou au Japon), la filière civile du nucléaire alimente la filière militaire (constructions de bombes nucléaires). C’est pourquoi la sortie du nucléaire pose un problème de sécurité. En Allemagne au contraire, la reconversion s’opère sans soulever de problème majeur.

VL: Le photographe Hiroshi Sugimoto dit, à propos de son installation au Palais de Tokyo à Paris (LT 29.04.2014) : «Les ténèbres du futur éclairent mon présent, et la prescience d’un fin à venir est garante de mon bonheur de vivre aujourd’hui». Ressentez-vous quelque chose de cet ordre?

D De R: Mon livre est plus sombre que je ne l’aurais voulu. Je ne suis pas aussi noir que ça. Non, je ne pressens pas la fin du monde. C’est beaucoup plus facile de se l’imaginer que de se représenter la fin du capitalisme. Pourtant, cela demanderait moins d’effort et ça serait plus subtil. J’ai récemment relu 1984 de George Orwell. Ce n’est pas de la science fiction. Ce roman a été écrit à la fin de la seconde guerre mondiale ; on devine que les sources d’inspiration de l’auteur ont été la peur de Staline et de la montée du communisme. Le livre reflète les inquiétudes d’Orwell.

Sein Buch «Le démantèlement du cœur» sei düsterer rausgekommen, als er es geplant habe, sagt Daniel  de Roulet im Interview. Der Naturwissenschafter beleuchtet als literarischer Schriftsteller die Vorgänge rund um den Nuklearunfall in Fukushima mit dem damaligen Direktor Masao Yoshida im Zentrum. Japan habe ihn schon immer interessiert, gerade weil es für Westeuropäer so schwierig zu «lesen» sei.