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LE COLLIER ROUGE

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LA RÉVOLTE EST-ELLE LA SEULE RÉPONSE À L'ABSURDE?

Texte: Valérie Lobsiger


ROMAN
Le Collier rouge, de Jean-Christophe Rufin,
Editions Gallimard, 155 p

Paru en février 2014


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«UN DE CES PETITS CRISTAUX DE VIE RARES», à partir desquels il est possible de construire un édifice romanesque. Dans un hommage rendu en fin de récit à un ami photographe, l’auteur explique que la transgression commise par son héros, revenu décoré de la guerre de 14 et pour laquelle il risque la déportation au bagne, est une histoire vraie. On n’apprendra qu’en toute fin de narration en quoi elle a consisté. Le lecteur, comme l’écrivain recueillant cet épisode relaté par son ami, s’interroge tout du long : mais enfin, qu’a commis de si répréhensible ce soldat par ailleurs si méritant ? Il est bon de s’interroger sur la motivation d’un être qui pourrait facilement obtenir la vie sauve mais s’entête à vouloir qu’on l’en prive, tel l’Antigone d’Anouilh ou le Meursault de l’Etranger de Camus. La brillante imagination de Jean-Christophe Rufin a comblé la lacune de l’histoire en inventant une noble raison. On a terriblement envie d’y croire, tant l’humanité s’y révèle à la fois dans toute sa grandeur et son absurdité. Longtemps après avoir refermé le livre, le lecteur continue de méditer sur les notions de loyauté, de fidélité et d’idéal soulevées par le roman.  

LE MONDE N’EST PAS FAIT DE BONS ET DE MECHANTS. Dans l’ancienne caserne d’une petite ville du centre de la France, après la première guerre mondiale, le jeune paysan Morlac, héros de guerre, est détenu seul prisonnier. Son chien s’épuise à aboyer après lui jour et nuit, tapant sur les nerfs du gardien harassé par la canicule. Arrive Lantier, officier et juge militaire, chargé d’entendre l’inculpé. Le chien cesse aussitôt d’aboyer. Rufin nous laisse entendre que la fidèle bête aux traits très humains (ou bien finalement pas?) a joué un rôle important dans l’affaire à instruire. Sans nous en dire plus, ce qui ne laisse pas de nous intriguer. Tous deux anciens combattants, juge et prisonnier, même s’ils ne partagent ni les mêmes valeurs, ni les mêmes idées, ont vu la mort en face et ne veulent plus pour cette raison perdre leur temps en mensonges. Morlac, buté, ne veut pas saisir la perche que lui tend Lantier et repousse toute circonstance atténuante («je ne veux pas qu’on dénature le sens de mes actes»). Lantier va réussir à le faire parler en le convaincant qu’il ne porte aucun jugement sur lui mais cherche juste à comprendre. Combien d’édiles sont capables de faire preuve d’autant d’altruisme?
     
UN BON SOLDAT NE PEUT ÊTRE QU’UN ANIMAL ou un drône, parce qu’alors, il n’éprouve aucun sentiment pour l’ennemi qu’il achève sans merci. Un bon soldat ne peut pas être humain. Dès lors il est absurde de vouloir le décorer et la révolte est la seule réponse à l’absurde. Dans cette boucherie sanglante qu’est toute guerre, la  barbarie et la démesure sont la règle. Elle n’est pas concevable pour un cerveau humain (à moins qu’il soit dopé comme il semble que ce soit devenu la pratique sur le terrain). Plongé dans un tel chaos, la réaction normale ne serait-elle pas, si on en avait les moyens, de chercher à faire cesser le massacre? Sauf que ceux qui décident la guerre sont rarement ceux qui la font et qu’ils poursuivent des intérêts dits supérieurs (le pouvoir, l’argent, mais aussi, parfois, rarement, un idéal à défendre) dans lesquels l’homme n’a pas plus de valeur qu’un pion dans un jeu d’échec…