→ CINÉMA

JIMMY'S HALL

JIMMY HALL

jimmys-hall Jimmy retrouve son amour mariée

la réouverture de Jimmys hall connaît un succès immédiat


DANSONS! AVANT QUE CELA N'AILLE PLUS MAL ENCORE

Texte: Valérie Lobsiger


JIMMY’S HALL, de Ken Loach

Un film britannique (2014, 1h49) avec Barry Ward, sur les écrans suisses alémaniques dès le 21 août 2014

Comment un vieux dancing peut menacer l’ordre établi 


→ PRINT


LA PEUR ENGENDRE LA VIOLENCE. Comme si en Irlande, à l’issue de la guerre d’indépendance (1919-1921), puis de la guerre civile (1922-1923) entre partisans du statu quo et ceux qui voulaient l’indépendance complète de l’île, on n’avait pas déjà eu assez de violences. La peur de quoi, en l’occurrence ? De l’endoctrinement communiste, mais surtout du changement de l’ordre social établi. En 1932, quelque part dans le comté de Leitrim, l’ancien activiste Jimmy Gralton (Barry Ward) est de retour dans son village natal. Il a passé dix ans en exil aux Etats-Unis et n’aspire qu’à la tranquillité. Les jeunes du coin viennent lui réclamer la réouverture d’une salle qui, sous sa houlette, avait servi de dancing mais aussi de lieu d’apprentissage de la lecture, de la danse, de la boxe, de la musique, du chant avant qu’il prenne la fuite. Il finit par se laisser convaincre et entame la réfection de l’endroit au grand dam du père Sheridan (Jim Norton) qui, jaloux de ses prérogatives, entend régner seul sur ses ouailles («l’éducation appartient à ma paroisse» lance-t-il à Jimmy, commettant par là même un sacré péché d’orgueil). Dans ses prêches dominicaux, le curé prône la fidélité aux «racines irlandaises» tout en condamnant «les corps à corps salaces allumant les passions sur les rythmes les plus noirs d’Afrique». Entre partisans des valeurs traditionnelles auxquelles adhèrent non seulement l’église catholique mais tous les grands propriétaires terriens, et partisans du progrès social impliquant entre autres une répartition plus juste des terres, la tension monte...
«TRAVAILLER ET DANSER en tant qu’hommes libres», telle est la revendication du peuple irlandais en colère. L’expulsion d’un fermier et de ses cinq enfants par le propriétaire d’une terre héritée de l’invasion britannique va mettre le feu aux poudres. La lutte pour les droits des travailleurs est un des leitmotivs du très politiquement engagé réalisateur britannique Kenneth Loach (habitué des récompenses et sélections à Cannes, il y a obtenu la palme d’or en 2006 pour «Le vent se lève» qui traitait des guerres des années 20 en Irlande). Son film est une illustration de plus de la soif de contrôle et de puissance de l’église catholique dont les méfaits, à travers les siècles, sont bien connus. Cet épisode de l’histoire irlandaise nous l’était un peu moins et le réalisateur nous le fait découvrir en s’appuyant sur des faits réels. Ce qu’on apprécie plus particulièrement ici, c’est la mise en évidence d’une vérité : il y est en effet montré qu’on ne peut impunément priver les plus démunis du peu de plaisir qu’il leur reste dans la vie : en l’occurrence la danse, distraction on ne peut plus innocente, gratuite et ouverte à tous, luxe du pauvre qui, parce qu’il y trouve son bonheur, peut retourner sans broncher trimer le lendemain. D’ailleurs, il semble qu’on ait toujours intensivement dansé dans les périodes de troubles et d’incertitude économiques et /ou politiques, comme si d’une manière ou d’une autre, il fallait bien compenser et laisser s’exprimer, coûte que coûte, cette belle énergie vitale que chacun porte en soi.