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L'ABRI

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UN FILM DE FERNAND MELGAR

Texte: Valérie Lobsiger


Documentaire suisse (101 minutes)
Dès le 9 octobre, sur les écrans suisses alémaniques.


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«IL FAUT ÊTRE STRICT!» lance le responsable du refuge pour les sans-abris à Lausanne, un Vaudois plutôt bougon qui a la tchatche volontiers sentencieuse (à plusieurs reprises, on l’entendra dire que «quand le train est parti, il est trop tard pour monter dedans»). On voit bien que ce n’est pas lui qui doit, pendant tout l’hiver, se colleter avec des gens bien décidés à passer coûte que coûte la nuit à l’abri (il n’y a qu’à écouter un habitué conseiller à un nouveau de «forcer l’entrée» pour «être le plus rapide»)…

Pourtant, ce n’est pas l’eldorado, cet endroit. Cinquante lits superposés répartis dans plusieurs dortoirs qui puent des pieds. Bonsoir la promiscuité! Compris dans le forfait que chacun doit payer (soit 5 fr. par nuit): un dîner, une douche et un petit déjeuner. Nous voilà tout de suite dans le bain. Et ensuite? Eh bien c’est tout. Une fois passés les femmes, les enfants et les vieillards, la bousculade, avec son douloureux quoique inévitable tri arbitraire, se renouvelle chaque soir.

Après «La Forteresse» et «Vol spécial» qui suivaient le sort des requérants d’asile, le réalisateur suisse d’origine espagnole Fernand Melgar nous plonge cette fois dans le monde des déshérités tous statut (légal ou non) et origine confondus, qu’ils viennent de Suisse, d’Europe (tel ce couple ayant perdu son emploi, puis son logement en Espagne ou encore cette famille venue en voiture depuis la Roumanie pour faire la manche dans la journée) ou de plus loin (pays d’Afrique ou du Moyen-Orient).

ET LA DÉTRESSE EST TOUJOURS LÀ, jour après jour. La colère pour certains («ce que j’ai vu ici, c’est pas humain!» crie un homme qui n’a pas été pris au centre et profite de la caméra pour se la jouer camp de Guantanamo; un autre pense qu’«ils le font exprès», afin qu’il se décourage et quitte le pays), la résignation pour les autres. La caméra suit les protagonistes, dedans, dehors. À l’intérieur, on remarque un vieil homme seul dans son coin avec sa pitance, c’est Dimitri qui remercie Dieu de lui avoir offert un toit. À l’extérieur, un homme qui a tenté de faire du chantage pour obtenir son admission, fait ressortir sa femme et ses enfants et s’enfonce avec eux dans la nuit et le froid, furieux. On pense alors aux nombreuses femmes à travers le monde soumises avec leur progéniture au despotisme d’un mâle…

LA MISE AU POINT D’UNE «CARTE DE RÉSERVATION» pour les nuitées s’avère bien piteuse. Il s’agit de tenter de mettre fin au problème de l’attente et au risque d’affrontement, la tension montant dangereusement chaque soir. Cela achève de désorienter les pauvres hères, dont certains ne comprennent pas un mot de français («Ah, vous parlez italien? Bon, ben… on verra avec l’anglais plus tard»!). De toute façon, il y a toujours les plus malins qui savent s’adapter au système et puis les autres, complètement dépassés, ceux qui ont cru naïvement qu’avoir une carte suffisait désormais à s’assurer le logis. On décide d’augmenter le nombre des nuitées à 60 mais prévient le chef vaudois, il n’y aura pas d’embauche de personnel supplémentaire. José-les-gros-bras est d’accord. On voit qu’il a bon cœur même si son rôle est ingrat. A Noël, il fait rouler des bouteilles de champagne sous la grille pour ceux qui n’ont pas pu entrer. Mais une dizaine de lits en plus ne changera rien à l’affaire. Le problème est sans fin. Les gens se donnent le mot et le nombre de demandeurs augmente plus vite que les capacités d’hébergement. A force de ne pas prendre de distance avec son sujet, le réalisateur nous fait éprouver un sentiment d’impuissance et de découragement. Était-ce bien là le but?
VL 12.09.2014