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REAL SURREAL

bellerive 1

Herbert Bayer
Einsamer Grossstädter, 1932/1969 Photomontage, Tirage papier argentique, 35.3 x 28 cm Photo: Christian P. Schmieder, Munich © 2015, ProLitteris, Zurich

Bellerive2Herbert Bayer
Autoportrait, 1932 Photomontage, Tirage papier argentique, 35.3 x 27.9 cm Photo: Christian P. Schmieder, Munich © 2015, ProLitteris, Zurich

BELLERIVE 3Hans Bellmer
La poupée/Die Puppe, 1935 Tirage papier argentique, 17.4 x 17.9 cm Photo: Christian P. Schmieder, Munich © 2015, ProLitteris, Zurich

bellerive4aMan Ray
Electricité, 1931 Gravure photo, 26 x 20.6 cm Photo: Christian P. Schmieder, Munich © Man Ray Trust / 2015, ProLitteris, Zurich
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Genia Rubin
Lisa Fonssagrives. Robe: Alix (Madame Grès), 1937 Tirage papier argentique, 30.3 x 21.5 cm Photo: Christian P. Schmieder / Collection Siegert, Munich © Sheherazade Ter-Abramoff, Paris


INSOLITE UNLIMITED

Texte: Laurence Hainault-Aggeler


Musée Bellerive
La Nouvelle Vision 1920-1950
Chefs d’œuvre de l’avant-garde photographique
Collection Siegert (Munich)

L'exposition est à voir jusqu'au 24 juillet 2016

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SE LAISSER DÉPASSER
Le lieu sobre et lumineux du musée Bellerive de Zurich se prête tout à fait à la présentation de 220 œuvres représentatives des mouvements de la Nouvelle Vision allemande, de la Nouvelle Objectivité tchèque et du Surréalisme français. En effet, le calme et la sérénité de cette demeure aident à supporter le léger malaise induit par les clichés, là où le rêve l’emporte sur l’incompréhensible. Dès le tout premier autoportrait, à gauche en entrant, Herbert Bayer nous plonge (ci-contre) dans l’insolite: un homme reste abasourdi de voir le dessous de son bras se détacher de son tronc dématérialisé, celui d’un mannequin de bois. Visage humain, corps objet.
Puis tout s’enchaîne et se répond dans une alternance entre la réalité et ce qui la dépasse, pour jouer à loisir avec la représentation onirique.

DES MAINS, DES CORPS
Prenons un exemple. Le couple de paysans traditionnels, «Bauerpaar» d’August Sanders, dans la première salle se rapproche d’une photographie classique de nos ancêtres, comme on en a vu mille. Toutefois, l’artiste met en avant les grosses mains noueuses de ces travailleurs terriens, avec leurs doigts déformés et gonflés, sagement croisés sur le souvenir de leur dur labeur. Des mains, qu’un jeu de lumière imperceptible renvoie à leurs regards fixes, douloureux, impuissants. Si real!
Puis le thème des yeux et des mains, véhiculant souffrance et fatalité, se retrouve dans plusieurs œuvres unreal, tout au long de l’exposition. Ainsi, «Einsamer Grossstädter»  d’Herbert Bayer (ci-contre), présente d’autres mains, improbables, percées chacune d’un œil différent, l’un clair et l’autre foncé. Le regard s’impose sur l’espace placé en toile de fond: la façade sombre d’un immeuble troué de multiples fenêtres. Solitude urbaine? Qui regarde qui? Et les paumes sont ouvertes. Encore un signe d’impuissance. Au premier étage, Hans Bellmer vide les yeux de sa poupée, «Die Puppe» (ci-contre), en plaçant une main mutilée au tout premier plan, comme une protection douloureuse. L’impuissance, une fois de plus. Enfin, la mise en scène de «Lisa Fonssagrives» par Genia Rubin (ci-contre), au terme de l’exposition, montre une femme debout dans le désert. Ses yeux disparaissent totalement derrière sa main protectrice d’un soleil aveuglant. Toujours l’impuissance.

MUNICH, PRAGUE ET PARIS
Et bien d’autres messages s’échangent, de salle en salle, dans un dialogue enchevêtré d’impressions vagues et poétiques. La sensualité des nus très purs de Sacha Stone est placée à côté des couples lascifs de Germaine Krull. Tous évoquent un érotisme où chaque sensation reste à recréer. Quant à l’intérieur d’un appartement parisien abandonné et mis en lumière indirecte par Roger Parry, il transmet la même impression de solitude paisible que le cliché réalisé par Dora Maar, avec cette femme accoudée à la fenêtre d’une maison délabrée et végétalisée.
Puis en contraste complet avec ces œuvres real, le visiteur tombera sur un panneau-coup de poing,  «Affichez vos images», où une jolie pinup des années 50 tire une langue immense et… ensanglantée, absolument surreal. Provocateur, alarmant. À chacun d’y trouver un sens. Ou peut-être pas. Restent à subir l’image et les impressions.
Afin de présenter la réalité et de la mettre en rapport avec la surréalité, l’exposition s’organise en trois volets, selon les trois lieux d’origine (l’Allemagne, Prague et Paris) et leurs mouvements d’avant-garde artistiques respectifs; mais on s’y perdra volontiers, tant les références importent peu face aux émotions.

DES ANGLES INÉDITS
N’oubliez pas de prendre le feuillet informatif proposé à l’entrée. Ce texte est documenté et rédigé avec soin en trois langues, dont le français. Après un prologue de contextualisation, il explique que la Nouvelle Vision allemande «explore les possibilités photographiques avec véhémence». Arrêtez-vous devant les œuvres de Laslo Moholy-Nagy, un des meilleurs porte-paroles du mouvement. Grâce à ses angles inédits, l’insolite perd toute limite. Le commentaire souligne aussi que le Surréalisme parisien «crée des associations magiques en récupérant le hasard dans le cliché banal». N’est-ce pas en effet le cas des Paris Nocturnes de Brassaï, ou des solarisations de Raoul Ubac ou encore des associations de Man Ray (voir la couverture du magazine sur lequel une jeune femme, visage d’un pur ovale,  regard dur et bouche désabusée, pose un coude nonchalant sur une table couverte d’objets hétéroclites)? Le document indique enfin que le mouvement d’Avant-Garde pragois, par contre, «adopte un langage plus radical et propose des compositions dynamiques». Évident si l’on s’arrête devant un cliché de l’architecte Jaroslav Rössler, très inspiré par le constructivisme du Bauhaus et de Moscou.

DE BUNUEL À COCTEAU
Dernier conseil: dans un coin sombre du premier étage, ne manquez pas de vous asseoir devant l’écran qui repasse en boucle les sept classiques du film expérimental d’avant-garde. Vous y retrouverez «Un chien andalou» de Luis Bunuel, bien sûr, et  l’incontournable «Le sang d’un poète» de Jean Cocteau. Vous y découvrirez aussi, entre autres, «Zweigroschenzauber» de Hans Richter et «Nous vivons à Prague» de Zijeme v Praze et Otakar Vavra, moins connus des francophones.
Bref, il vous reste trois semaines pour savourer l’exposition Real Surreal. Alors, dépêchez-vous! Ne manquez pas une telle expérience, car, selon les termes d’André Breton, «C’est une fusion magique entre le rêve et la réalité». (LHA 3/07/2016)