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EISENBERGER

Eisenberger1Dans le métro, avec l'un de ses cartons de ses débutsPressefoto EISENBERGER en train de peindreEisenberger en train de peindrePressefoto Photo dEisenberger sous un tronc darbre 280Eisenberger sous un tronc d'arbre...
Pressefoto Eisenberger à sa table de travail une couleursEisenberger à sa table de travail!


DANS L'ART, LA FORCE DE CONVICTION PRÉVAUT

Texte: Valérie Lobsiger


Eisenberger - Kunst muss schön sein, sagt der Frosch zur Flieg,
Un documentaire de Hercli Bundi (CH 2018, 94 mn)

Sur les écrans suisses alémaniques dès le 28.04.2019


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«TOUS CEUX QUI CROIENT SAVOIR QUI JE SUIS SE TROMPENT». Christian Eisenberger, né en 1978 en Autriche, refuse qu’on lui colle une étiquette. Il est vrai qu'il ne cesse d'étonner tout au long du film. Après un apprentissage de serrurier, il a étudié la peinture à l'école Ortwein de Graz, puis l'art trans-medias à l’Académie des beaux-arts de Vienne. Des cartons peints, abandonnés par milliers dans l'espace public, l'ont rapidement sorti de l'anonymat. Génial pied de nez aux institutions galeristes et muséales, ce coup de maître a rapidement établi sa réputation. Mais il faut bien vivre, surtout quand on devient père, alors la galerie Krinzinger (à Vienne) lui sert d'intermédiaire, l'aidant à… «faire de la place pour les prochaines séries». Fidèle à lui-même, il n'a cependant pas cédé aux sirènes de la notoriété. Car, comme dit de lui sa mère interviewée à Semriach (avec, derrière elle, un dessin de la ferme prouvant assez son talent précoce de dessinateur), Christian est un modeste. Modeste mais opiniâtre. Cette obstination serait peut-être même ce qui le caractérise le mieux. Mais à quoi s’acharne-t-il?

IL NE SE FOCALISE PAS SUR UN BUT PRECIS mais s'astreint chaque jour au travail, «quelque soit son humeur» précise-t-il, et cela avec une discipline de moine bouddhiste. Il lui importe se laisser surprendre par le résultat. Cette persévérance, doublée d’une imperméabilité à la critique (il faut le voir se faire déboulonner par Ursula Krinzinger!) le maintient sur la corde raide, mais depuis suffisamment longtemps pour qu’il sache qu’elle est nécessaire à sa créativité. Un jour il peint à l’acrylique («Ça peut encore drastiquement changer» prévient-il), un autre se fait enrouler comme une momie dans du papier adhésif, un autre encore sculpte le bois ou la glace, utilise branches et pierres, transperce de clous des écrans d’ordinateur où figurent Poutine et Mandela (c'est mauvais dit la galeriste et on ne serait pas loin de partager son avis tant cela nous laisse perplexe.) Tout ce qu'il a sous la main sert. On le voit allumer un feu sous une tourbe recouverte de feuilles de dessin et d’une bâche. Il se servira des feuilles maculées par la fumée pour peindre mais en attendant, quel paysage fantasmagorique! On le voit sur des photos: le visage envahi par des limaces, comme une buche supplémentaire sous une pile de rondins, nu sous un tronc d’arbre abattu, en clown, en ange, en démon… Il a passé 40 jours sans parler dans un appentis adossé à une église, répétant les mêmes gestes aux mêmes heures, histoire d'approfondir la notion de temps. Il s'est allongé sur un miroir enduit de sperme et s'est fait recouvrir d'une bâche blanche, traitant de la perpétuation au-delà de la mort. La mort grimaçante, dont le visage semble un thème récurrent, jusque dans les ustensiles de cuisine qu'il cabosse et perce pour en faire des masques, sous l'œil abasourdi des employés de l'usine. «L'art ne doit pas être joli, mais mener à une autre perception, repousser les limites» affirme le fabricant de casseroles. Si on n'est pas toujours convaincu du résultat, on admire cependant son élan permanent, condition nécessaire, mais peut-être pas toujours suffisante à l'éclosion de l’art.

QU’EST-CE QUE L'ART ALORS? Le réalisateur Hercli Bundi que cette question semble tarauder (il a déjà tourné un documentaire avec Ai Weiwei («The House in the Park», 2010) et un autre avec Not Vital («Not Vital - half Man, half Animal», 2000)) la pose à Christian. «C'est quand tu l'encadres, l’accroches au mur et peux dormir dessous sans être paralysé de peur.» «Ou quand tu te dis, j'aimerais faire ça et que tu n'oses pas.» Tout le monde peut faire de l’art alors? «Chacun peut. Seulement, chacun ne le fait pas, et ça, c’est une légère différence» rétorque-t-il, bravache.
«Certains ont jeté ses cartons des débuts, d'autres les ont collectionnés, et d'autres enfin les ont achetés aux enchères et auprès des intermédiaires. Est-ce de l'art ou des détritus?» s’interroge Bundi.
En tout cas, on l'aura compris, pour Eisenberger, c'est à travers la répétition et la discipline que naissent les nouvelles idées. L'artiste ne doit avoir aucune représentation à l’avance, car cela empêcherait le travail «d'évoluer dans une direction spontanée.» «Et puis arrête avec tes questions compliquées, de toute façon, il n’y a pas de réponse juste!» Après avoir abondamment aspergé son réalisateur de seaux de peinture de différentes couleurs (Ah, l’irrévérence de l’artiste!), Christian Eisenberger enfourche son vélo et se grise de vitesse sur les petites routes de sa campagne natale. Oui, pour créer, l'artiste doit se sentir libre. Après, ne reste plus qu'à avoir l’inspiration.
VL (22/03/2019)