→ ART/MUSÉES

KONKRETE GEGENWART / LE CONCRET CONTEMPORAIN

Superflex v282687965SUPERFLEX, Copy Right (White version), 2006. Courtesy der Künstler und Nils Staerk, Kopenhagen. © 2019, ProLitteris, ZürichOtto Berchem Is This Democracy 2013 v285879012Otto Berchem, Is This Democracy, 2013. Courtesy der KünstlerundInstituto de Visión

Timo Nasseri Presse v282687965 v282757068Timo Nasseri, Florenz-Bagdad, 2016. Courtesy der Künstler und Sfeir-Semler Gallery Beirut/Hamburg. © 2019, ProLitteris, Zürich



« MAINTENANT, C’EST TOUJOURS UN PEU HIER ET DEMAIN »

Texte: Laurence Hainault Aggeler


«Jetzt ist immer auch ein bisschen Gestern und Morgen»

Exposition présentée à la Haus Konstruktiv de Zurich jusqu’au 5 mai!

Toutes les visites guidées sont en allemand (parfois en anglais). Voici donc pour les francophones, quelques commentaires explicatifs de nos coups de cœur.

Notre info dans l'agenda: ici
Le site du Musée: ici


→ PRINT


ART CONTEMPORAIN: ENTRE CONCRET, CONCEPTUEL ET CONSTRUCTIF
L'art concret vise à établir l'art non figuratif sur des bases plus rigoureuses que celles de l'abstraction traditionnelle et désigne surtout l'abstraction géométrique. L’art constructif considère qu’une image de la réalité est le produit de l'esprit humain, non le reflet exact de la réalité elle-même et l’artiste adresse souvent un message à décrypter. L'art conceptuel, dont les origines remontent aux «ready-made» de Marcel Duchamp, se définit non par les propriétés esthétiques des objets, mais seulement par l'idée de l'art qu’on peut leur appliquer. Difficile de savoir à quel point les productions contemporaines se retrouvent liées à ces héritages.

UNE PRÉSENTATION STIMULANTE
Comment les projets récents réutilisent-ils les formes, les couleurs, voire certains concepts propres aux mouvements de la deuxième moitié du XXe siècle? Pour tenter de répondre, le musée «Haus Konstruktiv» de Zurich présente 34 artistes suisses et étrangers vivants, dont les installations des dernières années se répartissent sur 5 étages. Avec une volonté de réduction à l’essentiel, toutes stimulent notre réflexion sur l’époque actuelle et son évolution. En suivant un itinéraire où des pans de l’histoire artistique s’incorporent et se combinent, le «Concret contemporain» nous interpelle.

DROIT D’AUTEUR OU AUTEUR DE DROIT
Dès l’entrée, l’installation «Copy Right» frappe par la symétrie de son élégance répétitive.  Le groupe danois Superflex, dispose en rangées bien sages 80 chaises blanches sur une estrade tout aussi blanche, jonchée de chutes de bois, témoins de fabrication. Ces répliques de la fameuse chaise Jacobsen des années 50 sont légèrement modifiées en restant au plus près de l’original, un commentaire lucide sur le célèbre débat relatif à la propriété intellectuelle. Les sièges sont à la fois des copies fidèles et des créations authentiques. Quel est alors le lien entre le design et la production de masse?

EXPLOSION
De part et d’autre, deux sculptures entremêlent les câbles électriques en fibre de verre, faisant éclater une paire de palmiers vibrants aux branches échevelées. Là encore la Suissesse Vanessa Billy interroge: cette infrastructure cachée dans le sol et derrière les cloisons permet de communiquer, mais une explosion peut-elle survenir dans ce monde hyper connecté? Le titre des œuvres,  «Burst I et Burst II»,  le laisse supposer.

EMPILEMENTS
Sur les panneaux voisins, le Mexicain Jose Davila propose avec sobriété un rappel des entassements de Donald Judd, chef de file de l’art minimal. Collées au mur, ses boîtes de métal s’agrippent, s’empilent et se superposent à intervalles irréguliers, sous le nom de «Violet», une référence à la couleur intérieure du contenant. Voici remis en question l’excès de conditionnement de nos produits de consommation.

RÉFLEXION
Pour accéder aux autres salles, le visiteur s’engagera dans une cage d’escalier lumineuse, décorée irrégulièrement par l’Italienne Esther Stocker. «The future of thinking» est un savant arrangement de planches de bois étroites, peintes en noir et fixées aux murs. Impact sur la dynamique de l’espace,  effet de flottement, poésie, fascination. Arrivé au sommet des marches, un regard plongé donnera le tournis malgré l’équilibre harmonieux de la réalisation. La pensée deviendrait-elle vertigineuse?

LIGNE, COULEUR, LUMIÈRE
Au premier abord, la salle du deuxième étage semble plus vide que les autres. Puis, peu à peu, l’œil découvre et s’attarde. Le Valaisan Valentin Carron pose sur le sol une barre de métal, «We you you they I». Sa réplique serpentine, «I I you  he we» , pend au plafond, mince, froide, tordue, en contraste pur avec l’œuvre de l’Anglaise Clare Goodwin, «Paul», dont les formes allongées, mauve pâle, roses et saumon, géométriquement libres, sont adoucies de subtilité. L’Allemand Werner von Mutzenbecher , quant à lui, propose un large reflet en zigzag diagonal, «Grosse Spiegelung II», une correspondance émouvante avec l’art concret/constructif. Voici présentés les trois principes fondateurs: la ligne, la couleur et la lumière.

MÉDITATION ET HUMOUR
Le troisième étage est introduit par «Good Vibe Gongs», du Suisse David Renggli. Cinq disques de grandeurs et de nuances variées alternent sur fond rose pâle. Devant eux, un ensemble de tiges de métal se déverse, évocateur du son méditatif libérant les énergies positives. Un baume pour l’âme. On notera une vraie parenté avec les créations des années 50 et la nouvelle géométrie des années 80. Dans un recoin protecteur, «Evidently Collapsed» de l’Italienne Lara Favoretto s’impose par sa fragilité. Pour mettre en place ce cube de confettis orange envoyés en vrac, il a fallu fouler aux pieds, tasser à l’extrême les minuscules bouts de papier et reconstituer un quadrilatère compact selon les indications de la conceptrice. Un courant d’air, la moindre vibration et tout peut s’écrouler. Se rapprocher avec précaution, car une œuvre d’art est facile à détruire!

QUAND LE RÊVE S’ATOMISE
Mais l’installation la plus impressionnante, «Florenz-Bagdad», est sans doute celle du quatrième étage. L’artiste germano-iranien Timo Nasseri s’inspire des segments ornementaux présents sur les parois des mosquées. Il a tapissé la salle de miroirs triangulaires. Leurs reflets éclatés élargissent notre vision à l’infini dans un rêve atomisé. Impossible de se regarder en entier. L’historien d’art, Hans Belting, voit dans ce jeu magique de glaces brisées une mise en scène de la différence entre la perspective occidentale très centrée et la position orientale libérée de tout point fixe. Pourquoi pas?

DE LA SYMPHONIE À L’HARMONIE
Dans la salle adjacente, un panneau entier est recouvert de stylos bic classiques aux capuchons bleus foncés, collés serrés dans tous les sens. De cet assemblage inédit dont on ne remarque pas la composante au premier coup d’œil, surgit une symphonie sublime de reflets plastifiés. L’Autrichien Herbert Hinteregger a réutilisé l’encre de ces stylos afin de peindre au sol et sur le mur d’en face une harmonie élaborée de lignes parallèles. L’installation passe de l’outil à une création difficile à examiner tant les variations colorées se multiplient. La raison probable du titre mystérieux, «Too close for comfort». Ou peut-être faut-il l’interpréter autrement?

POÉTIQUE OU LUDIQUE
Dans la dernière partie de l’exposition, au cinquième étage, les œuvres foisonnent. Voici quelques descriptions au hasard de nos observations, entre autres…

… UNE COMPOSITION MEXICAINE d’Amelia Pica et d’Otto Berchem, «Mobilize». Les feuilles de couleur pastel, retenues par des fils acryliques, tombent au gré d’une brise impalpable. Sans savoir pourquoi le regard peine à se détourner, la beauté d'un geste fort nous arrête. Les artistes expliquent: ils se sont inspirés des tracts utilisés dans les manifestations, mais aussi de la paperasserie excessive qui envahit la bureaucratie. L’impression est transmise. Par contre, le sens exact pourrait échapper au visiteur sans le petit tableau de référence, accroché à côté du mobile.

… DEUX RIDEAUX BRUISSANTS à base d’aluminium, «Summer clouds», composés par l’Espagnol Daniel Steegmann Mangrané. Fixées en diagonale, ces retombées bleutées, trouées d’un nuage transparent, transforment la pièce selon le modèle des architectes modernes, lorsque les baies ouvertes appellent au déplacement. Ecartez les fils pour continuer. L’expérience auditive et tactile s’avère plaisante!

… UN VASE DE PORCELAINE scellé par le Français Saâdane Afif lors d’une performance lyrique, «Farytale Recordings»,  pendant laquelle la cantatrice Katharina Schrade y a coulé sa voix. Un moyen de sauvegarder le chant.

… UNE ARMOIRE A FROMAGE traditionnelle, «Käse Kasten» en position inclinée, dont les portes bicolores et translucides permettent de percevoir l’intérieur de façon irisée. L’Allemand Jan Kiefer donne ainsi à l’objet banal, un statut d’œuvre d’art.

UNE CERTITUDE: les artistes contemporains du monde entier restent aujourd’hui très engagés, voire militants, et continuent de développer leur potentiel créatif.

UNE PROMESSE: même si les principes déclencheurs et les messages peuvent vous échapper, les émotions multiples et l’expérience sensorielle sont garanties. À ne pas rater!

(LAH_9/04/2019)