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J'ACCUSE

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jonone2 280L'article d'Émile Zola paraît dans «l'Aurore»

jonone3 280Picquart espionnant Esterhazy depuis un appartement loué en face de l'Ambassade d'Allemagne.
Antisémite, c'est lui qui découvre l'erreur judiciaire.


L'AFFAIRE DREYFUS : UN PAYS SCINDÉ EN DEUX

Texte: Valérie Lobsiger


J’ACCUSE, de Roman Polanski, 132'

Avec:
Jean Dujardin, Louis Garrel, Emmanuelle Seigner, Olivier Gourmet, Mathieu Amalric, Vincent Perez, Melvil Poupaud, André Marcon, Michel Vuillermoz, Vincent Grass

Sur les écrans suisses-alémaniques à partir du 13 février 2020

Du 30 janvier au 5 février 2020 au Lunchkino, à Zurich


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LA VALEUR D’UNE ŒUVRE D’ART NE SE MESURE PAS A LA MORALITÉ DE SON AUTEUR. Pas question de prendre parti pour ou contre Polanski car, dans une démocratie n’est-ce pas, on ne se substitue pas à la justice. C’est dans cet état d’esprit qu’on est allée voir «J’accuse». Bien nous en a pris. Même si on connaît l’histoire d’Émile Zola prenant la défense du capitaine Dreyfus en 1898 dans le journal «L’Aurore», le film tient en haleine jusqu’à la fin. Les acteurs sont époustouflants, la tension dramatique extrême, les images hautement esthétiques (telles celle d’un french cancan rappelant «La Goulue» de Degas ou celle d’une femme vêtue de vert évoquant «L’Absinthe»). À une époque où l’on assiste, impuissant, à l’escalade de propos haineux dans l’espace public, où l’émotion l’emporte sur la raison, où la vox populi s’érige spontanément en tribunal, il est bon de revenir sur une affaire qui souleva une partie de la France contre l’autre et dans laquelle, par avance, chaque citoyen s’était forgé une opinion.

LE FILM S’OUVRE SUR UNE HUMILIATION PUBLIQUE d’une rare violence. Reconnu coupable de haute trahison, condamné à la déportation, le capitaine Dreyfus (Louis Garrel, extraordinaire de dignité bafouée sous sa moustache tremblante) est dégradé le 5 janvier 1895 devant un régiment entier au garde à vous dans la cour de l’école militaire. Longtemps après le film, on garde en tête la scène: casquette, épaulettes, décorations militaires, épée, tout lui est arraché et piétiné. «Comme si on purgeait un porcin de sa pestilence» marmonne Marie George Picquart (Jean Dujardin) dans les rangs des officiers. Picquart n’aime pas les Juifs mais, et ça on ne le sait pas encore, il aime encore moins l’injustice. Promu au grade de lieutenant-colonel à la tête des poussiéreux services des renseignements, il commence par faire le ménage, dérangeant les vils cloportes dans leur piètre routine de fouilleurs de poubelle. Il suffit qu’il entre dans son nouveau bureau, renifle, puis aille fermer une fenêtre donnant sur les égouts pour que tout soit dit!

FIN XIXe SIÉCLE, LA FRANCE SE RÉVÈLE PROFONDÉMENT ANTISÉMITE. Le prédécesseur de Picquart, du fond de son lit, lui remet un dossier de gens suspects de trahison, soit 2500 noms, et encore, souligne-t-il , «il manque les Juifs». Juifs auxquels on impute comme une évidence la dégénérescence des valeurs morales faisant la gloire du pays. Les valeurs morales? La belle hypocrisie! Picquart ne tarde pas à remonter la piste d’un certain Esterhazy, espion à la solde de l’Allemagne, dont l’écriture est précisément celle du bordereau sur la foi duquel Dreyfus a été condamné (excellent Amalric jouant les graphologues étonnés). Las, les autorités ne veulent pas d’un scandale où l’armée serait montrée sous son plus mauvais jour. Picard est dépouillé du dossier et expédié d’abord dans l’est, puis en Afrique. Pendant ce temps, sur l’Île au Diable, Dreyfus est mis aux fers par simple cruauté. Mais Picard ne lâche pas l’affaire. Alors, du jour au lendemain, on fait de lui le chef d’une conspiration juive, son avocat est abattu…Quant à Zola, sa diatribe lui vaudra un an de prison et 3'000 francs d’amende. Mais où sont donc passés les hommes tels que Picard, prêts à risquer leur vie pour rétablir LA vérité? A noter la dernière scène qui résume bien à elle seule l’idée que toute réparation, quelle qu’elle soit, ne peut être que partielle et donc illusoire.

VL, janvier 2020