→ MUSIQUE CLASSIQUE

!ÏNOUÏ!

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Codex Las Huelgas, Victimae paschali laudes pour deux voix de femmes, début du XIVe s.

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MENU DE PÂQUES POUR LES OREILLES 5/5

Texte: Nathalie Musardo Sigrist


Ami lecteur, amie lectrice, ouvre grand tes oreilles. Installe-toi confortablement, détends-toi, ferme les yeux... Enfin peut-être un seul si tu veux poursuivre ta lecture. Pour !ÏNOUIÏ!, notre chronique sporadique de musique classique/jazz, mais pas que, Aux arts etc. te prend par la main et te propose de découvrir des contrées inexplorées. Ça ne fera pas mal et ce sera rien moins que passionnant, émouvant, enrichissant. 

Au fil de l'actualité ou au hasard du coup de cœur totalement subjectif, nous présentons à tes oreilles avides des enregistrements d'œuvres époustouflantes réalisés par des artistes admirables, des révélations formidables, des interprétations inégalables. 

Nous te recommandons vivement de cliquer sur les liens (marqués ainsi >>) en lisant ces lignes, ce sera beaucoup plus parlant. 

En ces temps perturbés et confinés, à défaut de pouvoir courir chez ton disquaire préféré, shoppe en ligne, télécharge ou streame. Équipe-toi d'un bon fauteuil et de haut-parleurs ou d'un casque dignes de tes écoutilles et de ces lieux enchantés où nous t'emmenons.


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C'est un Carême, un temps de pénitence en temps de pandémie, dont on se souviendra. Alors que la musique sacrée de la Semaine Sainte est foisonnante, l'ascèse sociale et culturelle que nous vivons en ce printemps la réduit, comme toute la création artistique, au silence des églises et salles de concerts vides et verrouillées. Pour accompagner ces jours particuliers, voici une playlist pascale, un agenda musical virtuel dont les cinq rendez-vous se déroulent dans ton salon. 

JOYEUX DIMANCHE DE PÂQUES!

Pour la partie la plus douce de notre menu en cinq plats, écoutons cette séquence grégorienne vieille de 1000 ans: Victimae paschali laudes >>.

Elle a longtemps été attribuée à Notker Balbulus (840-912), moine de l'Abbaye bénédictine de St. Gall, bègue et, comme il le disait lui-même, à la mémoire déficiente. Si notre érudit ami, selon son biographe Ekkehard IV, «hésitant par la langue mais pas par l'esprit», n'en est pas l'auteur, on lui doit tout de même une livre d'anecdotes sur Charlemagne et le développement de la séquence: On avait pour habitude de chanter des vocalises jubilatoires sur la dernière syllabe de l'Alleluia, que Notker peinait à mémoriser. En y ajoutant les syllabes d'un texte liturgique comme moyen mnémotechnique, il aurait contribué à développer une nouvelle forme musicale. 

Imagine-toi maintenant, ami·e mélomane, au Moyen Âge à la messe du Dimanche de Pâques. L'Alleluia dont tu as été privé·ependant 40 jours – comme tant d'autres choses – résonne à nouveau dans l'église. Tu aurais alors été rempli·ed'une grande joie en l'entendant, peut-être de celle que nous ressentirons lorsque nous pourrons enfin à nouveau sortir, danser et embrasser nos amis!

Nombre de compositeurs ont par la suite offert à cette séquence, exultatoire pour les fidèles au Moyen Âge, un cadre polyphonique plus exubérant:

- Antoine Busnois (1433-1492) >>
- On monte d'un cran? Josquin des Prés (1450-1521) >>
- Vraiment plus récent: improvisation à l'orgue (et quel orgue!) de Charles Tournemire (1870-1939) reconstituée par Maurice Duruflé (1902-1986) >>
- Bach, dans une de ses Cantates dPâques, a repris cette mélodie avec la traduction allemande de Luther (Christ lag in Todesbanden) >>. Tu l'entends une première fois, très lente, chez les sopranos à 1:21, et peux t'aider avec les notes qui défilent.

Terminons avec, cette fois, l'Oratorio de Pâques de Bach – qui d'autre? – sur une note vraiment joyeuse pour nos oreilles modernes. As-tu déjà entendu parler du «risus paschalis»? Dans certaines régions d'Allemagne entre le XIVe et le XIXe s., l'assemblée était amenée, après de longues semaines de pénitence, à rire de bon cœur le Dimanche de Pâques par toutes sortes de plaisanteries du prêtre. Par sa résurrection, le Christ a triomphé des ténèbres; par leur rire sonore et franc, les fidèles vibraient à nouveau à la vie...

Avec cet Oratorio, Bach s'inscrit dans la tradition du «Osterlachen», en ce qu'il pastiche une de ses cantates, profane cette fois, intitulée «Entfliehet, verschwindet, entweichet, ihr Sorgen» («Fuyez, disparaissez, échappez-vous, soucis»). Quel plaisantin ce Jean-Sébastien!

Le «risus paschalis» a disparu de nos messes. Dans certains cantons alémaniques il est défendu de danser pendant la Semaine Sainte, certes, mais également le Dimanche de Pâques et ce, même sans épidémie.

Je te souhaite, ami lecteur, amie lectrice, dans ton confinement, de vibrer à la vie, en rire et en musique en ce Dimanche de Pâques, avant de pouvoir enfin à nouveau sortir, danser et embrasser tes amis!