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LA FRONTIÈRE EN LITTÉRATURE


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zoneUn livre en une seule phrase, 2008boussoleQuatre-vingt-dix secondes d’action -
Boussole, Prix Goncourt, 2015 tout sera oublié«Les souvenirs, les traces, les marques sur les façades, sur les visages, le passé devient la seule façon de voir le présent»

«UN ÉCHANGE FESTIF BASÉ SUR L'AMOUR DU SAVOIR»

Texte: Laurence Hainault Aggeler


«La frontière en littérature»

Notre info dans l'AGENDA

Chaire de littérature et de culture françaises EPFZ

Cours hebdomadaires mis en ligne
Première partie - 19 février au 7 avril 2020
Deuxième partie,  21 avril au 26 mai 2020

Le banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs, le 7 mai à 17h30 - En savoir plus sur cette rencontre spécifique

La discussion entre Ursula Bähler et Mathias Enard le 28 mai qui devait se tenir à la Literaturhaus aura lieu sur le net. Bientôt plus d'infos

La librairie mille et deux feuilles à Zurich propose une sélection d'ouvrages de Mathias énard qui peuvent être commandés et livrés.

Pour prendre contact avec la librairie:


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MATHIAS ÉNARD, HOMME DE SAVOIR
Traducteur du persan et de l’arabe, fin connaisseur du Moyen-Orient politique et culturel, romancier célèbre et reconnu, féru d’art contemporain, Mathias Enard engage sa réflexion pour dépasser les frontières et revendique souvent une esthétique singulière: alternance des points de vue, rédaction d’un livre d’une seule phrase («Zone» - 2008), ou défi pour que chaque page corresponde à quatre-vingt-dix secondes d’action dans le récit («Boussole», Prix Goncourt 2015). On pourrait s’attendre à rencontrer un intellectuel distant, voire inaccessible. Or Mathias Enard surprend par la simplicité chaleureuse de ses manières et la liberté de ses présentations où il butine au gré des thèmes choisis et savamment connectés. Le cours donné ce semestre à la Chaire de Littérature et de Culture françaises de l’EPFZ est celui d’un évocateur érudit.

PORTER LA LITTÉRATURE VERS L'UNIVERSEL
Les auditeurs sont invités à une certaine forme de jeu dont il a tenu à définir les règles dès le début: l’exploration sera introspective et allusive, parfois très éloignée de la francophonie. Selon lui, l’écrivain, comme un animal, est un être aux aguets qui limite ses territoires.

Confronter plusieurs textes, marquer les points de rupture et de fusion entre plusieurs cultures, permet de porter la littérature vers l’universel. Avec le génie d’un conteur, Mathias Enard jette des ponts.

RESSENTIS LITTÉRAIRE
Le thème: la frontière en littérature. Le récit: celui des grandes batailles. Sans omettre de nous rappeler le déroulement historique, la narration choisit les faits cruciaux pour y greffer des ressentis littéraires lus avec un enthousiasme contagieux. Aucune hésitation à reprendre diverses strophes de l’Iliade, ou quelques laisses de la Chanson de Roland et à les rapporter aux valeurs fondatrices de notre culture occidentale.

DE TROIE À RAMALLAH
Mathias Enard sait rapprocher un passage de la guerre de Troie et un conte du café Noufari de Damas puis en comparer les ressorts dramatiques. Il souligne l’influence d’Homère dans le monde arabe et note l’actualité du scénario de cette épopée aux rebondissements multiples. Il s’amuse en projetant la réinterprétation commerciale du cinéma hollywoodien. Puis nous découvrons le palestinien Mahmoud Darwich et son émouvant poème écrit pendant le siège de Ramallah en 2002, lorsque «le temps devient espace pétrifié dans son éternité». Troie, Ramallah, deux villes encerclées, asphyxiées.

CHANSONS DE GESTE ET POÉSIE ARABE
Suivront les récits des croisades, ces guerres saintes relatées dans les premières chansons de geste. L’analyse de la Chanson d’Antioche nous fait parcourir l’histoire des affrontements entre royaumes musulmans et chrétiens et celle de la création de l’Empire byzantin. Un détour par la poésie arabe du 11ème siècle et l'amour d’Ibn Zaydun pour Wallada. Combien son écriture lyrique semble éloignée des chroniques ensanglantées de l’Occident médiéval!
Seule une chanson trouvère, empreinte de nostalgie, ramène un peu de douceur francophone.

LA LIMITE SE JOUE EN LITTÉRATURE
Puis nous abordons deux textes contemporains relatifs aux conflits religieux plus récents. Le siège de Beyrouth ou celui de Sarajevo ont engendré une poésie de la souffrance extrême. Le poète libanais Mahmoud Darwich ou l’écrivain bosniaque Semedzdin Mehmedinivic mêlent intimement l’histoire et l’imaginaire. Voici présentés « les mondes dont on cherche la limite qui se joue en littérature ». En s’appuyant sur les faits politiques qui déroulent la réalité, Mathias Enard fait l’éloge de ces voix douloureuses où les émotions répondent à l’horreur.

TOUT SERA OUBLIÉ
Le conférencier intervient aussi directement. Retour à la langue française. Son roman graphique «Tout sera oublié», gravement illustré par Pierre Márquez, narre une traversée des ruines de la guerre balkanique; «Les souvenirs, les traces, les marques sur les façades, sur les visages, le passé devient la seule façon de voir le présent». Un essai sur la maladie de la mémoire, la tristesse européenne.

UN PROJET NOBLE ET POLITIQUE
Ce cours a commencé devant un amphithéâtre bien rempli de francophiles attentifs, étudiants et auditeurs libres, toutes générations confondues. Il était rassurant d’observer que les plus jeunes ne semblaient pas déroutés par la savante nonchalance d’un conférencier qui étayait ses analyses de références classiques. Pourtant le mode de communication est très éloigné du discours ludique actuel. Bien au contraire, on les sentait séduits par la conviction de l’orateur. Étant donné les circonstances, la retransmission s'effectue sous forme de séminaire virtuel. Mathias Enard garde un sourire au coin des yeux lorsqu’il se trompe de manœuvre et tout reste convaincant.

Les mots de la Professeure Ursula Baehler, le premier jour de présentation, semblent plus justes que jamais: «L’échange reste festif, basé sur l’amour du savoir et il véhicule un projet noble et politique à la fois».

L.H.A. 20/04/2020