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LES FUNAMBULES

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«Chez nous, toute vie est une entreprise de reconstruction. Parce qu'on naît détruit»

 


UN ESSAI AU PAYS DES LAISSÉS POUR COMPTE

Texte:  Laurence Hainault Aggeler


«Les funambules» de Mohammed Aïssaoui

En lice pour le Goncourt 2020.

Journaliste au Figaro littéraire, Mohammed Aïssaoui est l'auteur de «L'affaire de l'esclave Furcy» (prix Renaudot essai et prix RFO du livre).

Le 11 novembre, nous organisons (si nous le pouvons) une rencontre LES LIVRES QU'ON M - LE CHOIX GONCOURT en collaboration avec des étudiants de la Chaire de littérature et de civilisation française de l'ETHZ et le ROSE de l'Uni Zh.
Bientôt plus d'infos


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UNE FORME D'INSOUCIANCE
Le héros narre ses neuf années d’une enfance pauvre dans un pays ensoleillé et lointain; puis son arrivée dans cette France rêvée et combien décevante pour la mère. Une mère, «analphabète bilingue», qui endure tout pour ne pas perdre la face devant les autres et surtout devant son fils, son «habibi», son amour. Et le petit fait du chemin, «avec quelques regrets et une forme d’insouciance». Il aime l’école républicaine, la littérature, s’en nourrit au point de devenir biographe pour anonymes. Et malgré quelques difficultés identitaires, il rédige avec succès la vie d’un certain nombre de femmes et d’hommes connus ou ignorés.

LE PROJET
Quand il a 34 ans, un neuropsychiatre célèbre le convoque, car il connaît son talent, le sait originaire d’une cité et croit en l’écriture salvatrice. Le projet: lui faire rencontrer des gens précaires semblables à ceux qu’il a côtoyés dans sa jeunesse et rédiger leurs témoignages. Le médecin veut s’appuyer sur ces énoncés pour démontrer que les mots couchés sur du papier donnent un sens à la vie, un ancrage. Le jeune homme accepte.

UNE LONGUE ENQUÊTE
L’écrivain va croiser beaucoup de «funambules», ces acrobates de l’existence qui marchent sur une corde raide, parfois à de très grandes hauteurs. Les misérables naissent détruits, issus de familles décomposées. Ils essayent de rebâtir quelque chose, une vie normale. Tout le monde, selon l’enquêteur, possède une «fêlure». La leur est plus grande. Il la détecte vite et accède aux révélations les plus intimes.

RELATION AVEC LES INSTITUTIONS CARITATIVES
Où rencontrer des sans-abris? Aux Restos du Cœur, aux Petits Frères des Pauvres … Les bénévoles, volontaires permanents, vont se confier, touchés par la démarche du biographe. Certains révèlent leur fragilité tout aussi dangereuse que celle des aidés. Chaque association possède une atmosphère différente mais, pour tous, la lutte contre la pauvreté reste un combat quotidien.

UNE SUITE DE PORTRAITS PERCUTANTS
Suivent des conversations multiples, déchirantes. Elles nous éclairent sur le vécu social et psychologique des laissés-pour-compte. Les rencontres avec les aidants, leur courage, leurs motivations sont présentés dans une longue suite de tableaux complets, travaillés avec finesse et doigté.

L’AMI D'ENFANCE
Régulièrement, l’auteur retrouve un paumé de la cité, réfugié dans une cave, toujours prêt à commenter avec humour et sagesse la marche du monde et sa propre défaite. «Bizness», de son surnom, est un vrai philosophe qui nous démontre l’absurdité de l’existence. Ses blagues sont révélatrices. Comment résister à celle des deux amis qui se promènent dans une rue déserte? Devant eux, à une centaine de mètres, deux personnes viennent dans leur direction. Le plus tourmenté s’angoisse et dit: «Regarde, ils sont deux et nous sommes seuls»!

ET PUIS NADIA…
Cette travailleuse sociale rencontrée au cours des études est l’amour raté, regretté, dont le héros s’acharne à retrouver la trace tout au long du roman. Cette quête obsédante, annoncée dès le début, revient en leitmotiv et finit en chimère, joli prétexte pour inscrire l’ouvrage dans le genre romanesque. Le récit d’existences désespérées et désespérantes entraîne avant tout une réflexion sociale percutante.  En fin de compte, l’ensemble tient plus de l’essai que du roman. Autant le savoir avant de se lancer!

L.H.A 10/2020