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LE PAPIER D'ORANGE

 

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Le livre peut être commandé à la librairie mille et deux feuilles à Zurich...

 


DES POÈMES QUI AIGUISENT LES SENS

Texte: Sandrine Charlot Zinsli


Pietro De Marchi vit à Zurich. Il enseigne à l'Université de Zurich et de Berne. Spécialiste de littérature de Suisse italienne, il a édité les «Poésies complètes» de Giogio Orelli.

«La carta delle arance» est parue en italien en 2016 .
Le recueil a été traduit en allemand en 2018 et est paru chez Limmat-Verlag.

Il sort maintenant en français et italien dans une belle traduction de Renato Weber et avec une préface savante et intelligente d'Ivan Farron. La traduction a été rendue possible avec le soutien de la Collection CH.
Aux Editions empreintes, juin 2021.
ISBN 978-2-940505-40-1

En savoir plus sur le livre : www.payot.ch


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Jamais je n'ai eu envie de brûler le papier qui emballe élégamment les oranges. Ni de le transformer en cylindre. Et pourtant le poème qui donne le nom au recueil de Pietro De Marchi réussit non seulement à éveiller en moi la machine à remonter le temps, mais aussi à visualiser la scène: le garçon lisse le papier de soie bariolé, le roule un peu comme une cigarette et l'allume pour voir le soleil de Sicile imprimé s'élever dans le ciel et retomber en confettis ou en poussière noire. Ce plaisir addictif devait sans doute clore de nombreux repas de famille un peu ennuyants. Réclamer une nouvelle orange permettait au garçon de jouer une fois de plus avec le feu, d'entendre le crépitement des flammèches et de recréer en plein jour une nuit étoilée. Ce papier de soie qui préserve le fruit, nourrit l'imagination de toute une vie. 

Le recueil de Pietro de Marchi met en écho le passé et le présent, les souvenirs et les empreintes qu'ils laissent en nous. Non seulement il raconte la richesse du quotidien et la beauté fragile de l'instant, mais il aiguise aussi nos sens.

ET SURTOUT LE REGARD
Son œil explore une scène hivernale des vieux maîtres flamands, et c'est dans l'ombre qu'il décèle toute l'horreur de ce massacre des innocents et la détresse des mères à qui les soldats d'Hérode viennent de voler leurs petits garçons. La cruauté de cette tuerie transparaît dans le rouge des uniformes. Ces nourrissons ont tous l'âge du petit Jésus, ce qui les condamne.
Cette importance accordée au regard se lit aussi dans l'émerveillement ressenti après une opération ophtalmologique: l'œil libéré de ses pansements retrouve alors le plafond puis le ciel et enfin une tour de Züri-West.

DES COULEURS
Toute une palette de couleurs est déployée: le vermillon des casaques des soldats, le rouge des coquelicots dans les fossés qui se fait de plus en plus rare tout comme le bleu des bleuets décimé par les pesticides. Sans oublier l'or des solidagos qui explose fin août et de toutes les autres fleurs jaunes les autres mois. L'œil du poète se glisse même dans les fentes des parois des cabines de bain peintes en bleu et blanc et se souvient du reflet de la lumière des après-midis d'été.

LE PÈRE ET LES LANGUES
La figure du père est omniprésente qu'il s'agisse du père de l'auteur et de tout ce qu'il a transmis mais aussi du père qu'il est devenu lui-même. Chaque vieillard rencontré, le docteur Jivago, le goût des langues et des livres... tout cela le ramène à son père, nourri de littérature, de musique, des films de Chaplin. 

Pietro de Marchi vit entre plusieurs langues. Italophone, il habite et travaille à Zurich, semble bien connaître Perec et Paris. Son recueil «La carta delle arance» qui avait déjà été traduit en allemand («Das Orangenpapier») existe maintenant en français, grâce à la belle traduction de Renato Weber.

Ce recueil en deux langues offre un plaisir particulier, notre œil droit se rend au pays des fables, pendant que le gauche rencontre Alice et Anita nel paese delle fiabe. Et c'est à haute voix que l'on passe «des langues en transit» au «cielo di maggio in Lombardia»...

Publié le 1er juillet 2021