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FAVOLACCE

jonone1 280

jonone2 280Echange varicelle contre pouxjonone3 280Geremia et son père
Favolacce les enfants font état de leurs notes scolaires sur ordre de leur père qui veut épater les voisinsSur ordre de leur père, les enfants font état de leur note scolaire pour épater les voisins...
Favolacce Filmstill5
Dennis, le cerveau de la bande et celui qui se prend le plus de torgnoles...


LA VIOLENCE DES ADULTES...

Texte: Valérie Lobsiger


DRÔLE DE CONTE DE FÉES, dérangeant comme un rêve dont on ne souvient ni du début ni de la fin et qui nous poursuit pourtant.

FAVOLACCE, des frères Fabio et Damiano D’Innocenzo (I – CH 2020, 95 mn), meilleur scénario à la Berlinale 2020, meilleur film au Ruban d’Argent 2020

A partir du 8 octobre sur les écrans suisses alémaniques.


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NULLE VERTU ÉDUCATIVE POUR LES PLUS JEUNES (film interdit au moins de 16 ans) dans cette histoire où les enfants d’une banlieue au climat délétère trouvent moyen de se dérober à la toute-puissance des adultes. Les jumeaux Fabio et Damiano D’Innocenzo, 32 ans («aux âmes bien nées la valeur n'attend pas le nombre des années», disait ce brave Corneille) ont grandi dans une «frazione» romaine: auraient-ils conservé de leur enfance quelques souvenirs persistants? Sans avoir de formation spécifique, ces réalisateurs de vidéoclips et de films télévisés font en tout cas preuve d’un talent aussi précoce qu’explosif en nous donnant de quoi méditer. Favolacce est leur deuxième film. «La terra dell’abbastanza» (2018), leur premier, avait déjà été fort remarqué et récompensé.

RIEN N’ÉCHAPPE A LEUR CAMÉRA qui sait cerner en peu d’images les personnages de ce conte qui n’en est pas un. Ainsi, il suffit d’une succession de gros plans sur Vilma (orteils au verni écaillé, bleu à la cuisse, cigarette à moitié consumée, peau acnéique) pour raconter le malaise de cette adolescente enceinte qui pousse très loin la provocation indécente. Un cadrage sur des nouilles en sauce atterries au sol de la cantine parle quant à lui de l’ennui du quotidien, de l’absence d’horizon, de l’échec, de l’étroitesse d’esprit de certains professeurs, voire de leur rancœur.

Sur les visages rapprochés de Bruno et Pietro, on lit, médusés, l’étendue de leur concupiscence. Les voilà réunis dans leur haine lubrique, ces voisins que tout oppose. Sans tact, Bruno avait auparavant vanté, au cours d’un dîner de quartier, les vertus du travail auquel il faut s’adonner sans compter face à Pietro, pourtant au chômage. Puis Bruno avait encore obligé ses enfants à réciter leurs notes sous le nez du chômeur, père d’une jeune Viola scolairement retardée (mais un plan rapproché du visage de Viola nous avait rassurés). Parfois au contraire, la caméra s’éloigne, filmant les pavillons accolés les uns aux autres vus d’en haut - en tout point similaires à ceux des SIM’S- comme dans cette scène où Bruno, sans raison apparente, pète un plomb au cours d’une grillade au barbecue.

Parfois enfin, et c’est là qu’elle atteint son plus grand pouvoir suggestif, la caméra ne montre simplement pas ce que les protagonistes voient ou alors avec un temps de retard.

LE SUSPENS EST SAVAMMENT CULTIVÉ et l’on retient son souffle tout le long du film. La canicule pèse sur l’été que rien ne vient tempérer, pas même une baignade en mer filmée au niveau de l’eau sur une musique menaçante, comme pour mieux signifier qu’on va bientôt boire la tasse. Pas moyen de savourer les beaux moments de l’âge tendre, ses romances et ses gaucheries émouvantes. Les enfants ont des visages graves, ils ne s’expriment que rarement, ne protestent jamais et paraissent étrangement studieux («Des enfants qui travaillent durant les vacances, le rêve de toute maman!» s’exclame une mère au moment de leur servir le goûter). Si l’un d’entre eux veut expérimenter l’amour, ne serait-ce pas plus par conscience du temps qui reste, avec l’espoir peut-être, que le plaisir n’en sera qu’accru, et non par singerie des adultes comme on l’avait d’abord cru? Les batailles d’eau sont filmées au ralenti comme pour faire durer les rares moments d’insouciance. Las, le père de Geremia estime que le chien de son fils doit être piqué, Pietro taillade la piscine au grand désespoir des jeunes, la mère de Viola décide de lui raser le crâne (la fille a attrapé des poux et Geremia la varicelle, ce qui donne lieu à une drolatique rencontre, arrangée par les parents), Dennis et Alessia se prennent des raclées sans savoir pourquoi («tais-toi et ne respire même pas!» ordonne Bruno).

Les réalisateurs montrent assez la violence des adultes, par ailleurs au ban de la société, dans un microcosme glauque où chacune de leur parole sonne faux. Tout cela doit cesser. La mélodie du générique (Bisogna morire, The Passacaglia of Life) précise et sans ambiguïté, nous invite, comme un memento mori, à réfléchir au sens que nous voulons donner, ou non, à notre existence. Il est encore temps.

VL septembre 2020