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«KAKÉMONO»

jonone1 280Le gardien du musée... qui accueille le visiteur les crocs acérés et le regard en lame de couteaux. Bonne visite!

jonone2 280Un catalogue d'une grande richesse...

jonone3 280Komai Ki, aussi connu sous le nom de Genki, 1747-1797:
Une cigogne solitaire au bord de l'eau, sous un pin, au soleil levant. 1760-1769. Peinture à l'encre et couleur sur soie. 112,4×41 cm The Perino Collection


L'IMMUABLE ET LA BEAUTÉ APAISENT

Texte: Laurence Hainault Aggeler


Museo delle Culture
+41 58 866 69 60

www.musec.ch

Prolongée jusqu'au 11 avril 2021

NDLR: A relire: Nostalgie de la nature au Museum Rietberg


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Dans la Villa Malpensata de Lugano, le MUSEC accueille «KAKEMONO»

Organisée par Matthi Forrer, c’est la plus grande exposition jamais consacrée à la peinture japonaise. Elle explore cinq siècles de tradition figurative. Datant de la fin du XIXe siècle et signée Kiyosei, l’œuvre choisie pour l’affiche  hypnotise d’emblée le visiteur: un tigre saisissant de férocité, le poil hérissé, les yeux en lames de couteaux, entrouvre la gueule sur une fine rangée de crocs acérés. L’animal semble perturbé par une incursion sur son territoire. Rien n’est superflu dans la sobriété du trait.

L'EXPOSITION PRÉSENTE 90 KAKÉMONOS
Ces précieux rouleaux de tissu ou de papier, peint ou calligraphié, sont répartis sur un parcours thématique pour explorer en profondeur la substance des langages picturaux. Ils proviennent de la collection inédite du docteur Claudio Perino de Turin. Contrairement aux toiles ou planches occidentales, les kakémonos sont doucement structurés et conçus pour un usage chronologiquement limité, habituellement exposés dans l'alcôve des maisons japonaises ou laissés en plein air pendant la cérémonie du thé.
 
LE JAPON A CONSIDÉRÉ TRÈS TÔT LES CHINOIS COMME SUPÉRIEURS
Il en est donc venu à se référer aux sources littéraires et théoriques chinoises sur la peinture. Comme les matériaux choisis en Chine étaient l’encre, le papier, et la soie et que les règles mettaient  en garde contre l’utilisation de couleurs, les traditions de la peinture japonaise suivirent les mêmes impératifs.
 
UN STYLE SYMBOLIQUE ET ACADÉMIQUE
Les sujets représentés dans les œuvres (animaux féroces, plantes, fleurs et oiseaux) sont tous chargés de significations symboliques et ont contribué à établir et à consolider le statut social des détenteurs. Du XVe à la fin du XIXe siècle, un vaste réseau d’académies de peinture s’est constitué à travers le Japon. Elles ont bénéficié du soutien des classes dirigeantes (samouraïs, clergé bouddhiste et riches propriétaires) qui comptaient sur elles pour produire les kakémonos selon la mode de l’époque. À partir du XVIIe siècle, une classe urbaine émergente d’artisans et de commerçants a encouragé le développement d’interprétations picturales diversifiées sur des sujets naturalistes et des scènes de la vie réelle.

FLEURS, OISEAUX ET FIGURES ANTHROPOMORPHES
L’exposition se divise en cinq sections thématiques. La première joue d’abord sur une association allégorique végétale et volatile tirée de poèmes haïku. Douceur et légèreté. La deuxième se poursuit par la représentation de certaines divinités, des adeptes ou disciples du Bouddha, des portraits de notables shintoïstes, voire de certains personnages empruntés à la tradition chinoise. Sagesse et religiosité.

ICONOGRAPHIE DES ANIMAUX
Dans la troisième partie, l’expression des regards et la puissance musculaire des félins interpellent. Le cadrage limité des œuvres donne une structure souple et laisse aux visiteurs le loisir de poursuivre l’évocation à sa guise, d’imaginer la suite violente de l’action. Quant au décor aquatique, il s’adapte au mouvement pour accentuer la fluidité des poissons. L’émotion surgit de la maîtrise artistique dans ce vaste univers subtilement condensé. Atmosphère sauvage et langage poétique.

PEINTURE DE PLANTES ET DE FLEURS, LIÉE AUX MOIS ET AUX SAISONS
Dans la section quatre, le bambou revêt une signification symbolique de flexibilité, de résistance et de sécurité. Pour de nombreux érudits et alphabètes, la représentation picturale de ses tiges était un exercice très important, étroitement proche de la calligraphie par ses caractéristiques techniques; certains créateurs y ont consacré toute leur vie. Art de la maîtrise absolue.

PAYSAGES
En fin de parcours, les artistes présentés véhiculent un concept idéalisé de la nature. Rivières, lacs, cours d'eau, étangs ou ruisseaux apparaissent au premier plan, sommets montagneux en arrière-plan et à plus petite échelle se distinguent les ponts, les temples, les pavillons et les figures humaines. Ordre immuable et réconfortant.

Sans conteste, quelle que soit la variété des sujets et de nos ressentis, quels que soient les artistes, Yamamoto Baiitsu (1783-1856), Tani Bunchō (1763-1840), Kishi Ganku (1749-1838) ou bien Ogata Kōrin (1658-1716), chaque œuvre reflète une conception esthétique et philosophique purement orientale.

Nous sommes ressortis apaisés, comblés par l’évocation de la beauté intangible du temps qui passe.

L.H.A 29/03/2021