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L'OISELIER

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Texte: Valérie Valkanap


«L’Oiselier», de Daniel de Roulet, éditions La Baconnière avril 2021, 117 p.

Un grand petit livre pour dénoncer la chappe de plomb imposée par la raison d’Etat.


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DANIEL DE ROULET REVIENT SUR UN DES ÉPISODES de la fameuse Question jurassienne.  Il imagine une enquête menée par le célèbre journaliste Niklaus Meienberg (1940-1993) interpellé par les étranges enlèvement, disparition, meurtres ayant précédé la naissance du nouveau canton du Jura (créé en 1978). Si l’investigation est fictive, les faits relatés, eux, sont strictement véridiques. L’histoire, assez compliquée au départ car on n’en saisit pas encore toutes les imbrications, n’en devient que plus palpitante au fil du récit et le lecteur se sent très vite concerné par une affaire qu’il croyait, à tort, classée. L’auteur, qu’on a toujours considéré comme assoiffé d’absolu, prête cette qualité morale à Meienberg qu’il respecte, relevant que ce dernier a «élevé le reportage au rang d’œuvre littéraire». Entre gens épris d’idéaux, on s’estime forcément.

CE FAISANT, L’AUTEUR MET EN EXERGUE les points demeurés non éclaircis dans les nombreux rebondissements d’une affaire politiquement sensible. L’enlèvement (puis l’assassinat) de Schleyer, chef de l’association patronale allemande, la disparition (puis le prétendu suicide) de l’aspirant Flückiger, le meurtre du policier bernois Heusler, celui de l’aubergiste Amez ont-ils des liens qu’en haut lieu on préfèrerait taire?
La Suisse est passée maître dans l’art de la circonspection. Elle «se donne en modèle, prétend savoir régler les conflits politiques par consentement mutuel et sans violences», prodigue volontiers des leçons. Il ne faut pas trop se hausser du col, ni crier sur les toits, pas trop attiser la haine, ni l’esprit de revanche pour calmer l’opinion publique et préserver ainsi la paix au pays. A quel prix? s’interroge l’auteur. Au prix d’une vérité qui, gardée secrète, entretient le terreau de l’hypocrisie. La violence existe bel et bien, mais pas du côté où l’on croit. Car, on le soupçonne, au nom de l’intérêt supérieur («le destin du pays»), des vies ont été liquidées, des innocents accusés.

DANS UN «CLIMAT D’HYSTERIE, DE CHASSE AUX TERRORISTES» provoqué par les actions coup de poing des jeunes séparatistes Béliers, l’auteur montre comment le Conseiller fédéral Kurt Furgler, alors ministre de la justice et police, a su raison garder. Savamment dosée par le romancier qui connaît son métier, la tension monte au fil des pages puisque, l’amante de l’Enquêteur n’étant autre que la fille du fameux conseiller (fait véridique!), des choix vont s’imposer. L’auteur se garde de trancher, relevant juste les incohérences avec ce ton savoureux de douce ironie qui est le sien. «Sans vérité, il n’y a pas de justice et sans justice, la réconciliation des protagonistes est impossible», observe-t-il. Et si l’artiste romancier ne va pas creuser au-delà du discours officiel, qui d’autre? concluons-nous.

Publié le 22 mars 2022