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LES GRUES BLANCHES

jonone1 280«J’avais onze ans lorsque j’ai rencontré pour la première fois la grue blanche d’Amérique...»jonone3 280

Elles sont parties pour le nord de Patrick Lecomte UNE COULEURS


FAUNE, FEMMES, NATURE...

Texte: Zoé Rochat


«Elles sont parties pour le nord» de Patrick Lecomte, Préludes, 2016

Discussion en librairie.

C'est l'un des livres dont il a été question lors de notre rencontre du 16 juin: Les livres qu'on M _ Les page turner


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Au programme jeudi soir, cinq page-turners qui ont fait un tabac ces dernières années: «Elles sont parties pour le nord», de Patrick Lecomte, «Là où chantent les écrevisses» de Délia Owens, «Toucher la terre ferme», de Julia Kerninon, «Felis Sylvestris» d’Anouk Lezcyk et «Connemara» de Nicolas Mathieu.
Chaque roman révèle une dissociation entre l’homme et la nature, dévoile différentes manières de vivre, de grandir, d’exister dans la société. La féminité, la nature, la solitude sont au centre de chaque texte. Gros plan sur Patrick Lecomte.

LES GRUES BLANCHES
Observateur, descriptif, lent, le roman de Patrick Lecomte évoque le récit de l’amour inconditionnel d’une jeune femme pour les grues blanches. Wilma, onze ans, vit dans une cabane au milieu du Grand Nord canadien et se passionne pour la nature. Elle découvre l’existence des grues blanches par le truchement d’un ouvrage et de ce fait, se captive pour cette espèce en voie de disparition, qu’elle observe nuit et jour. Le roman retrace le culte que la protagoniste voue à cette espèce et le soin qu’elle apporte à l’assurance de leur protection sont une forme de consécration: «J’avais onze ans lorsque j’ai rencontré pour la première fois la grue blanche d’Amérique […] Depuis cette date je n’ai cessé de lutter pour la conservation de cette espèce». Dès lors se développe une relation d’amour entre la protagoniste et la nature.

PULSATION, VAGUE, FLUX
Divisé en quatre parties, qui définissent l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte de la protagoniste, le style du roman évolue. Le début est naïf, utilise des expressions et des tournures de phrases simples, on entend la voix d’une enfant. Au fur et à mesure le roman adopte un ton plus factuel, plus sérieux. Cela peut représenter un éloignement du monde des rêves et de l’enfance, de l’imaginaire et symboliser un rapprochement avec le concret.
Peu à peu l’attrait de Wilma pour les grues blanches s’intensifie, son mode de vie se calque au rythme de la migration des oiseaux: «… une pulsation, une vague, un flux. Des territoires de reproduction aux territoires d’hivernage puis des territoires d’hivernage aux territoires de reproduction».

MIGRATION
Comme les échassiers, Wilma apprend à vivre en harmonie avec la nature, en décalage avec la société. Elle aussi va migrer. Sa vie est rythmée par les voyages des oiseaux, à tel point que se développe un parallèle entre Wilma et Arkka (la leader du groupe de grues blanches, une femelle blessée au cours du déplacement).
Tout au long de l’histoire, se tisse une relation entre la nature et Wilma, indifférente aux relations d’amour conventionnelles, plutôt insensible aux hommes. Sa première relation ne semble pas lui avoir laissé un souvenir impérissable. L’auteur la mentionne et enchaine sur la fascination de Wilma pour les grues.
Avec Joe, sa seconde relation amoureuse, elle partage la même passion de la nature. Ermite, solitaire, il passe son temps à observer les éléments naturels. Ainsi Wilma peut-elle garder sa liberté et nourrir son adoration pour les oiseaux sauvages.

FEMMES ÉPRISES DE LIBERTÉ
Seules, en symbiose avec la nature, les femmes se placent au centre de ce roman et se construisent une vie à l’extérieur, loin des villes, éloignées de la société. Elles sont dans des faunes sauvages, vivent au travers de paysages indomptés, s’épanouissent. En découle un type d’héroïnes sportives, peu occupées par leur féminité, nanties de caractères fermes et posés. Ces femmes ne craignent pas de se battre pour leurs idées, pour leur liberté.

AU COEUR DE LA NATURE
«Elles sont parties pour le nord» nous invite à réfléchir à la relation entre la nature et l’humain. Peut-être en s’éloignant du ventre de la société, les protagonistes retrouvent-ils le cœur de leurs identités. De la sorte, la nature avec son caractère propre, sa puissance, les cycles des saisons et tout ce qu’elle abrite de vivant, figure-t-elle aussi comme un personnage à part entière allié des humains.
24.06.2022