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A HAUTEUR DE PETITE FILLE

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UN SENTIMENT DE SOLITUDE ET LE REGARD QUI CHANGE

Texte: Valérie Valkanap


«La nièce du taxidermiste»,

de Khadija Delaval, Calmann Lévy Editeur, 264 p., septembre 2022

 


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LE JOUR DE L’ARRIVÉE DE SES RÈGLES, Baya, douze ans, est propulsée dans le monde des adultes. Tout cela à cause d’une transformation physique dont elle ignore tout et dont elle n’ose pas parler (elle se croit atteinte d’une maladie grave et cela va l’obséder un bon moment). Elle n’en demeure pas moins plus que jamais soumise à l’ordre muet imposé aux femmes de sa famille de se conduire en toute circonstance de façon «polie, discrète, serviable et gentille» «en ne se faisant pas remarquer». A cause de cette injonction parfaitement intériorisée, qui court en leitmotiv tout au long du roman, elle croit tout d’abord qu’elle a mérité ses malheurs: elle n’avait qu’à pas déroger aux exigences de la société en se montrant trop curieuse et avide de vie. Car bien sûr, chez elle, penser à soi quand on est une femme ne semble pas vraiment admis. Du fait de son sentiment de culpabilité, Baya ne confie à personne son pesant secret.

ON LIT LE ROMAN À HAUTEUR DE BAYA et cela en crée toute la force et l’originalité. Son récit est à la fois saisissant, divertissant, rafraîchissant et empreint de cette innocence dont chacun de nous est nostalgique car elle nous a aussi un jour habité. Baya ne voit pas le danger venir, nous si. Jusqu’à ce que le livre soit refermé, la tension dramatique, à son maximum, ne se relâche pas. Au moment de la «culotte sale de caca par devant», Baya passe ses vacances dans sa famille tunisienne à Hammamet, loin de ses parents restés à Genève. Son âge la place à mi-chemin entre les cousins encore gamins, et ceux adolescents ayant déjà une vie nocturne. Isolée, elle n’en est que plus vulnérable. Le sang dans sa culotte lui inflige la honte, les enfants, cruels, reprenant à tue-tête le refrain de «Baya la sale». La réaction des adultes est plus ambiguë. On la félicite un peu trop bruyamment, youyous à l’appui, on lui souhaite une belle maison et des enfants, on l’admet à la veillée parmi les grands. Mais elle reçoit une claque sur les fesses, perçoit des regards qui la jaugent, allumant un intérêt qui la met mal à l’aise. Non, ce n’est pas ce que l’on croit un peu trop vite qui arrivera.

COMMENT SURMONTER LES ÉPREUVES? Baya ne se contente pas d’accepter le destin (maktoub) comme la plupart des femmes appartenant à cette société tunisienne décrite par l’auteure. Elle n’arrête pas de s’interroger. Réussit à infléchir la volonté de ses parents de l’envoyer à nouveau en Tunisie. Grâce à une amourette de vacances l’été suivant à Genève, elle met enfin des mots sur ce qui s’est passé à Hammamet. Puis elle décide d’accompagner sa mère à Tunis pour le mariage d’une cousine. L’occasion pour elle de mettre les choses au point ou de retomber dans ce qu’elle voulait fuir? Suspense. On en profite pour découvrir le sens de la fête et des traditions d’une famille haute en couleurs qui occupe beaucoup de place dans son cœur, ceci malgré toutes les injustices et cruautés dont elle est capable (on n’oubliera pas de sitôt «l’oncle au marcel»). Pour finir, la situation, très sombre, est retournée et Baya sort grandie de ses épreuves.

Publié le 3 octobre 2022