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LES BANSHEES D'INISHERIN

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OÙ L'ON A CONFIRMATION QUE «L'ENFER, C'EST LES AUTRES»

Texte: Valérie Valkanap


Les Banshees d’Inisherin

de Martin McDonagh (GB, Ireland, États-Unis, 2022, 1h54)

meilleur scénario et meilleur acteur pour Colin Farrel à la Mostra de Venise


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LA VIE PARAIT SE DÉROULER IMPERTURBABLE ET PAISIBLE A INISHERIN.
L’histoire se déroule en 1923 sur une petite île battue par les vents au large de l’Irlande. Les habitants de cette île ne semblent pas concernés par la guerre civile ravageant leur pays, même s’il n’est pas un jour où ils ne sursautent en entendant les coups de canon s’échanger au loin. On apprend juste incidemment que le fort déplaisant représentant local de l’ordre doit se rendre un jour prochain sur la terre ferme pour assister au spectacle d’une pendaison (ce dont l’abject personnage ose se réjouir). Padraic (renversant Colin Farrel) passe chaque jour chercher son ami Colm (Brendan Gleeson) pour se rendre à l’unique pub de l’île. Mais du jour au lendemain, Colm se met à l’ignorer et même à le prier de ne plus lui adresser la parole. On rit beaucoup de l’absurdité de la situation et on s’émeut de la façon dont le bon Padraic, peiné, s’évertue à comprendre quelle mouche a piqué son ami de toujours. A sa place, on n’agirait pas autrement. Là où l’histoire prend une dimension rocambolesque et tragique, c’est lorsque Colm, violoniste de gaie musique folklorique, menace de se couper un doigt chaque fois que Padraic viendra l’importuner. Un engrenage se met alors en place, duquel il va être impossible de retirer un seul … doigt.

COMMENT SURVIVRE DANS UNE SOCIÉTÉ SCLÉROSANTE où chacun est à l’affût des histoires de l’autre, allant jusqu’à mettre au ban ceux qui ne jouent pas le jeu en ne participant pas aux commérages? On peut se réfugier dans la lecture, le mutisme, la compagnie d’un être cher ou bien d’un animal, ânon, vache ou chien, ou bien alors partir, comme finira par le faire la sœur de Padraic (Kerry Condon). On peut aussi se rebeller à sa manière. Mais là, forcément, à plus ou moins brève échéance, on risque d’être perdant, surtout quand le microcosme est si replié sur lui-même qu’il n’y a aucune chance qu’il évolue. Colm le sait qui aimerait consacrer le peu de temps qu’il lui reste sur terre à la musique, Padraic le sait qui préfère parler du crottin de son âne plutôt que de médire des autres. Dans le fond, il ne manquerait pas grand-chose pour que les deux se comprennent, et pourtant chacun s’entête dans sa voie. Le barman compte les points, la vieille Mrs McCormick (Sheila Flitton, effrayante en épouvantail de la mort) se frotte les mains, le curé se fâche avec de vilains mots crus, le débile du coin, pas si bête (Barry Keoghan) tente de consoler Padraic…

Martin McDonagh, dont on avait déjà remarqué l’intransigeance dans l’excellent Three Billboards, marque son retour avec cet autre film qui, le moins qu’on puisse dire, ne fait pas dans la dentelle.

On a vu ce film hier soir et on ne sait pas s’il passe encore longtemps en Suisse alémanique. Mais on ne peut que le recommander. Âmes sensibles s’abstenir. Les autres: précipitez-vous.

VV 15/01/2023