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FATOU DIOME

Photo Fatou Diome UNE COULEURS

 

 


L'ÉCRIVAINE AUX DEUX ANCRAGES

Texte: Laurence Hainault Aggeler


Fatou Diome est avec nous pendant une dizaine de jours ce mois de mars de Zurich à Lugano!

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UNE SUBTILE ALCHIMIE
Fatou Diome est devenue célèbre grâce à un recueil de nouvelles, «La préférence nationale» (2001), et un premier roman, «Le ventre de l’Atlantique» (2003); deux livres pour raconter le périple d’une  Africaine en France, ses combats, ses humiliations, ses victoires. Dans une subtile alchimie entre traces biographiques et recherche esthétique, elle met en scène thématiques,  personnages et enjeux. L’écho a été remarquable. La liberté du ton, l’humour, le sens du récit, la justesse des descriptions ont séduit le public. Le sujet choisi a fait mouche au moment où les populations défavorisées se déplaçaient de plus en plus vers les îlots de prospérité, en quête d’une vie meilleure. À travers le dialogue ininterrompu entre l’héroïne sénégalaise, Salie, installée à Strasbourg, et son frère resté en Afrique, le livre pose déjà une question clé: comment fonder une relation avec les autres basée sur la reconnaissance réciproque?
Réflexion en profondeur appliquée à la relation entre les deux ancrages de l’écrivaine, le Sénégal et la France.

NE PAS S'ASSIMILIER, S'ADDITIONNER
Fatou Diome inscrit l’imaginaire, le réel et les références des deux pays dont elle montre les bonheurs et les tares et revendique deux généalogies littéraires. Au fil des romans qui suivent «Ketala», «Inassouvies nos vies», «Celles qui attendent», «Impossible de grandir», la narratrice n’épargne personne, ni les coutumes écrasantes de sa terre quittée et revisitée sans cesse, ni la France scrutée avec sévérité et tendresse. Elle raconte dans un langage direct et cru, avec un humour toujours prêt à contourner haine et racisme sans les occulter. Fatou Diome refuse l’assimilation, la dissolution des différences; une culture d'adoption n’abolit pas la culture d’origine, toutes deux doivent cohabiter et s’enrichir l’une l’autre. S’additionner.

UNE ARTISTE MILITANTE
En plus de son activité de romancière, Fatou Diome, est aussi, surtout depuis 2015, une artiste militante. Considérant qu’elle était fondée à rêver un monde meilleur, à devoir dire qu’une vie en vaut une autre, elle a commencé son plaidoyer pour la fin des rapports de domination. Dans une émission de France 2, Ce soir ou jamais, elle déclarait: «Qu’allons-nous faire de notre passé commun pour qu’il serve de socle à un avenir commun? Nous nous sommes frottés ensemble depuis des siècles, ce qui laisse une proximité, une manière de penser, de s’entendre».

LA FOI EN UN DESTIN COLLECTIF
Et en 2017, elle publie un pamphlet au ton enlevé, «Marianne porte plainte». En traitant des sujets qui font mal sans sortir de l’esthétique du mot, elle aborde des questions plus amères. Elle dénonce les incongruités démagogiques qui prolifèrent et cherche à consolider la foi en un destin collectif. Les chapitres s’enchaînent au rythme d’une prose musicale composite, une langue aux sept accents. Les métaphores hautes en couleur émaillent ses diatribes pour dévoiler les paradoxes identitaires. Fatou constate que «les guerres larvées sont plus difficiles à gagner et que le poison se distille, laissant les gens dans l’apathie du désœuvrement, les faisant mourir à petit feu». Elle redoute les terroristes. Elle plaint cette république qui doit résister à s’affranchir de la loi pour combattre les criminels. Elle déplore ces jeunes en quête de repères qui «savourent une illusion de puissance dans des moments morbides».

RETROUVER L'EUROPE DES LUMIÈRES
De nos jours, aucune économie nationale n’échappe aux soubresauts de la macroéconomie internationale et les sorts sont liés. Selon elle, «les pays du Nord ne jouiront plus de leur confort s’ils n’apprennent pas à le partager avec ceux du Sud qui ne se résignent plus à voir leurs terres pillées pour le seul bien-être d’autrui». Fatou Diome propose quelques mesures afin d’accéder à une paix du vivre ensemble: se tenir à distance de toutes les religions, partager l’espace public, revenir aux principes de tolérance et d’ouverture de l’Europe des Lumières, s’instruire, lire encore et toujours pour mieux comprendre les autres.

MÉRITER LA LIBERTÉ ENSEMBLE
Dans un envol poétique, Fatou s’insurge! «Où va l’humain quand le chez-soi est le lieu à fuir et la route vers l’ailleurs une menace mortelle? Aujourd’hui, seule la faucheuse se porte bien, elle qui décime et se régale de la détresse». Son engagement de Franco-Sénégalaise nous interpelle jusqu’à la dernière ligne: « Apprenons à mériter la liberté ensemble et s’il faut encore se battre pour la préserver, comptez sur moi, je n’ai qu’une réponse: Marianne me voilà!» 

L.H.A 03/2019