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LE BAL DES FOLLES

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LA SALPÉTRIÈRE AU TEMPS DU DR. CHARCOT

Texte: Sylvia Radzyner


Ce fut l'un des livres présentés le 16 novembre 2019 lors de notre rencontre LES LIVRES QU'ON M à la librairie «mille et deux feuilles».


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UN PREMIER ROMAN
Le bal des folles (Albin Michel) est le premier roman de Victoria Mas, jeune auteure de scénarios pour le cinéma et fille de la chanteuse Jeanne Mas. Elle a déjà été couronnée du prix Première plume, du prix Stanislas et figure dans la première sélection du prix Renaudot pour son premier roman.

LA SALPÉTRIÈRE AU TEMPS DE CHARCOT
L’idée du roman lui est venue alors qu'elle accompagnait un ami à la Salpêtrière, elle s'est promenée, le temps de la consultation, dans cet hôpital et a cherché à découvrir le passé de la Salpêtrière qui était devenue un lieu de soins et de travaux neurologiques sous l’égide d’un célèbre neurologue du XIXème siècle, le professeur Charcot. Ce professeur était une sorte de gourou qui mettait en scène ses séances d’hypnoses et qui avait sa cour d’admirateurs parmi ses homologues et aussi du tout Paris.

BAL COSTUMÉ
Donc, ce professeur Charcot affectionnait une pratique perverse et sordide et invitait le Tout Paris huppé une fois par an pour la mi-Carême à venir danser costumé avec ses patientes pour les observer comme dans animaux dans un zoo.
C’est cet évènement qui a donné à l’auteure l’idée du titre et le point de départ de son roman. En effet, l’action se déroule autour du bal costumé de la mi-carême, qui a lieu le 18 mars 1885 à l'hôpital de la Salpêtrière. Ce bal monopolisait toute l’énergie de ces femmes internées dans la frénésie des préparatifs. Parmi ces femmes, les unes étaient véritablement malades, les autres abandonnées là par leurs familles.

UN MONDE D'HOMMES
Victoria Mas explique avec passion, au cours de ses interviews, qu’elle s’est documentée pendant plusieurs mois pour relater avec précision les pratiques sordides de la psychiatrie avec ses aliénées et pour utiliser le jargon médical dans certains passages. De plus, elle dénonce non seulement les pratiques médicales cruelles mais le sort des femmes qui au XIXème siècle dépendaient de la décision des hommes qui avaient du pouvoir sur elles, leur père, les politiciens, les juristes, en fait tous les membres établis de la société.  En entrant dans cette institution, elles perdaient leur identité, leur passé pour ne devenir qu'une pauvre folle. On les désignaient comme hystériques, épileptiques, mélancoliques, maniaques ou démentielles si elles ne se conformaient pas.

DES PORTRAITS DE FEMMES ATTACHANTES
Malgré la cruauté et la dureté du sujet, ce roman est un vrai délice grâce au portrait de ses personnages auxquels on s’attache et grâce à son style de peintre qui construit par touches délicates une ambiance, une émotion. Aussi telle une caméra, elle nous emmène dans son décor. Elle allie la précision née de ses recherches appliquées à la palette nuancée de sa prose.
Les personnages féminins sont en partie inspirés par des femmes ayant vraiment été internées à la Salpêtrière.
Louise, une jeune adolescente violée par son oncle et internée par sa tante. Eugénie, une jeune femme qui s’intéresse au spiritisme, internée par son père. Thérèse, l’aînée, une ancienne prostituée qui tricote des châles pour toutes ses protégées. Geneviève, la mystérieuse infirmière qui s’investit depuis de longues années à soigner ces femmes abandonnées.
Le frère d’Eugénie, Théophile, est aussi un personnage touchant. Sinon, la plupart des personnages masculins incarnent l’autorité masculine de cette époque («Un médecin pense toujours savoir mieux que son patient, et un homme pense toujours savoir mieux qu’une femme»).

UNE CRITIQUE SOCIALE
Ce roman est captivant et riche à plusieurs niveaux. Un roman qui décrit un lieu, une époque, la condition des femmes au XIXème siècle. Il parle de folie, d'injustice, de méthodes inhumaines, il dénonce aussi l'exposition et le spectacle de ces femmes à travers les conférences publiques mais il dépasse le souci féministe, la critique sociale en étant une réflexion universelle et intemporelle sur la misère humaine, l’injustice, les limites quelquefois floues du normal et du pas normal. J’ai trouvé un parallèle dans le film tout récent Joker, qui dénonce la cruauté de la société et aussi le traitement des cas psychiatriques. (SR_ 20/11/2019)