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MIDNIGHT TRAVELER

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UNE FAMILLE AFGHANE EN FUITE DOCUMENTE SON PÉRIPLE

Texte: Valérie Lobsiger


MIDNIGHT TRAVELER, un documentaire de Hassan Fazili (Afghanistan, 2019, 87 mn)

Sur les écrans suisses alémaniques à partir du 12 décembre.

Présenté le 10 décembre à 18h30 dans le cadre du festival de films sur les droits humains à Zurich en présence du réalisateur et à l'occasion de la journée des droits de l'homme

Sur les écrans de plusieurs villes: ici


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UN FILM TOURNÉ AVEC UN TÉLÉPHONE PAR DES MIGRANTS.
Hassan Fazili, 40 ans aujourd’hui, a emmagasiné dans son téléphone portable plus de 300 heures de la vie de sa famille en fuite, ceci au cours d’un périple d’Afghanistan en Hongrie s’étalant sur trois ans. Menacé de mort par les Talibans pour avoir tourné un documentaire intitulé «Peace in Afghanistan» et ouvert un café culturel à Kaboul (boycotté puis fermé en 2014), lui et sa femme Fatima, également cinéaste, décident de prendre la route en 2015.

Ce qui commence dans la joie grâce à l’insouciance de leurs filles, Nargis (11 ans) et Zahra (6 ans) - on bourre la voiture comme pour un départ en vacances -, se révèle rapidement lourd de menaces et d’incertitude. Cependant, vaille que vaille, la famille garde courage et dignité. La mère plaisante (on rit avec elle de ce moment où, dans un camp en Bulgarie, Hassan est prié de jouer les mollahs et lui qui n’est pas religieux, se voit obligé de délivrer un sermon à une assistance recueillie), les petites, impliquées dans la responsabilité du tournage, sont fières de leurs nouvelles responsabilités. Si, en tant que père, Hassan juge l’expérience épuisante, il avoue la trouver stimulante sur le plan cinématographique.

Pour cette famille unie, la chaleur des liens s’avère être le meilleur remède à l’adversité. L’ouverture d’esprit aussi, chaque membre acceptant du mieux qu’il peut les nouvelles épreuves. Malgré les privations, ils restent eux-mêmes avec, montrés au jour le jour, leurs joies, leurs peines, leurs découragements, leurs peurs, leurs colères, leurs espoirs, et c’est ce qui touche.

LE FILM REPRÉSENTE BIEN PLUS QU’UN REPORTAGE VU SOUS L’ANGLE DES MIGRANTS, ce qui en soi, représente déjà une prouesse. Hassan confie dans une interview recueillie par Trigon Film que plus il a rencontré de problèmes, plus il a senti que le film devenait meilleur; il ne sait pas, ajoute-t-il, si cela est dû à sa responsabilité de père ou de réalisateur. Peut-être n’est-ce dû ni à l’un, ni à l’autre, pense-t-on.

D’une manière précise, aigue, il nous fait toucher du doigt son conflit intérieur au moment où, dans un camp bulgare dont les baraquements alignés en évoquent d’autres de sinistre mémoire, Zahra disparaît. Il se regarde filmer et s’interroge. Va-t-il trouver le corps de l’enfant dans un buisson? Ça serait la meilleure scène du film, ne peut-il s’empêcher de songer. Et tout aussitôt après, il se déteste d’imaginer cela et se met à haïr le cinéma. Voulant rester humain, il éteint sa caméra. A la place, il nous montre sa petite fille virevoltante, si pleine de vie, souffler dans la «neige» des arbres. Nous spectateurs, nous retenons notre souffle durant de longues minutes. Il a réussi son coup: nous avoir projeté dans sa peau, nous faire un moment partager ses pires craintes.

Oui, Hassan et sa famille ont fait partie des 6400 migrants venus de Syrie, d’Irak, du Pakistan et d’Afghanistan jusqu’en Serbie. Mais il y a chez Hassan quelque chose de plus que le courage et l’endurance: la petite flamme intérieure propre à l’artiste, celle qui, dans les déboires et le dénuement, ne se contente plus de brûler mais flambe.
VL 28.11.19s