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SE RÉJOUIR DE LA FIN

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DU BÉTON ET DE LA BEAUTÉ

Texte: Valérie Lobsiger


Métempsychose ?

SE REJOUIR DE LA FIN, Adrien Gygax, 102 pages, Grasset, février 2020

Un livre d’une grande beauté qui, en creux, sonne comme une dévorante envie de vivre.

Le site de l'auteur: www.adriengygax.com/


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UNE ÂME ANCESTRALE habite Adrien Gygax, 31 ans, écrivain vaudois dont le premier livre «Aux noces de nos petites vertus» (Le Cherche-Midi) avait déjà été remarqué. Une vieille âme donc. C’est du moins ce qu’on se dit après avoir consacré une heure d’intense lecture à naviguer aux crêtes de ce que fut une vie, habilement évoquée par un narrateur «en fin de» -détestable périphrase- la sienne. Narrateur qui reste logiquement dans l’anonymat car, au seuil de la mort, d’orgueil il ne saurait être question. A quoi bon clamer son nom lorsque tout s’emploie à vous diluer et qu’on acquiert peu à peu la conscience de «s’enfoncer doucement dans le sol»?

QUEL JEUNE HOMME peut posséder à ce point une telle conscience de la mort? On pourrait s’énerver, dire qu’est-ce qu’il en sait celui-là. On ignore où l’ultra-sensible jeune homme puise son inspiration mais, intuitivement, on sait qu’il parle vrai. Oui, c’est exactement cela qui nous attend, alors autant le prendre du mieux possible, du moins, dans la mesure où l’on peut se le permettre, a-t-on envie de préciser. Quant à savoir si nous arriverons à lâcher prise, à nous détacher de nos possessions et de nos dons, ceci est une autre histoire.

L’AUTEUR N’A PAS FROID AUX YEUX et dans son livre, il annonce qu’il ira droit au but, sans leurre, ni fard. Sans animosité non plus, aucune rancœur, pas de regret. En pleine souveraineté de soi. Ça tombe bien car c’est exactement ce que l’on attend de lui.

LE «BLOC DE BETON» pour commencer. Il désigne la maison de retraite. Sa fonction: y attendre la mort, «ce dernier projet». Les renoncements ensuite, qui ne sont pas des défaites mais de petites victoires. Car, si on se dépouille de ses possessions, c’est pour mieux sentir la beauté de ce qui nous échappe. Si on ne change plus d’avis, c’est pour préserver vivant son passé (même si le consumérisme nous incite chaque jour à le réinventer) et si on accepte le fauteuil roulant, c’est pour pouvoir à nouveau se déplacer plus vite et plus loin…

ON PÊCHE QUELQUES IDÉES pour sa propre gouverne. Organiser une brocante destinée aux amis qui récupéreront ce que le mort avait de plus précieux (tels, par exemple, ses bâtons de couleur pour un peintre), se mettre au dessin sans objectif précis (valable, soit dit en passant, pour tous les arts, du moment qu’on s’y met pour soi), chercher dans son quotidien d’infimes confirmations qu’on existe bel et bien.

POUR CEUX QUI SONT EN QUÊTE DE SENS, ce texte qui n’explique rien mais laisse tout pressentir -au point d’en éprouver la chair de poule- ce texte a quelque chose d’apaisant, et oui, de réjouissant. Il tient du chant grégorien, ce message grandiose s’adressant, au-delà la mort, aux humains.

VL, mai 2020.