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LES NOUVELLES LOIS DE L'AMOUR

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NOUVELLES CONVENTIONS... MAIS TOUJOURS LA MÊME REPRODUCTION DES INÉGALITÉS?

Texte: Stéphanie Heeb


Les nouvelles lois de l’amour de Marie Bergström - Editions de la Découverte, 2019

L'un des livres dont il sera question le mercredi 16 septembre dans le cadre de notre rencontre  «Les livres qu'on M»


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«Alors, où est-ce que vous vous êtes rencontrés?» De plus en plus, la réponse à cette question est: «En ligne». Divers services de rencontres, dont un nombre croissant d’applications mobiles, proposent leurs catalogues d’utilisateurs à ceux qui cherchent à rencontrer quelqu’un. Souvent, ce n’est que sur la base de quelques photos qu’on choisit un partenaire potentiel. Et alors que parfois, ce choix aboutit à une relation de long terme, encore plus souvent la rencontre reste de courte durée.

La façon de rencontrer d’autres célibataires a donc changé avec cette innovation, mais les services de rencontres ont-ils aussi changé et comment vivons-nous l’amour? C’est la question à laquelle Marie Bergström répond dans son livre «Les nouvelles lois de l’amour» (Éditions de la découverte, 2019). La sociologue examine les changements de notre conception d’une relation amoureuse, et de l’amour même, depuis l'emploi très répandu des services de rencontres.

Se concentrant sur un contexte français et hétérosexuel, son analyse est précise et détaillée, et elle décrit les faits sans jugements de valeur. Bergström offre également aux lecteurs un aperçu des points de vue des utilisateurs de ces sites, en citant directement des interviews qui ont servi de bases de recherches. Il est remarquable que l’auteure essaie d’inclure une grande variété de voix: elle cite des utilisateurs jeunes, ainsi que des utilisateurs plus âgés, et de toutes les classes sociales.

En effet, le livre montre à quel point les questions de classe, du genre et de l’âge influencent l’utilisation des services de rencontre. On estime souvent qu'Internet nous offre un espace plus démocratique, où tout le monde est égal. Bergström montre ici que ce n’est pas le cas; au contraire, l’autoreprésentation en ligne renforce souvent les inégalités sociales. Les photos qu’on choisit, la description qu’on écrit, et les premiers échanges textuels contiennent tous des indications du statut social – et de celui de la personne qu’on recherche. Et d’après les statistiques et études que Bergström présente, il ne s’agit pas non plus d’un espace féministe, car bien que les services de rencontres offrent certaines libertés aux femmes, ils imposent certaines contraintes dans d’autres domaines. Il ne s’agit donc pas d’une révolution de la société, ni de l’amour; les services de rencontre offrent plutôt un nouveau cadre dans lequel les conventions sociales de la rencontre se reproduisent.

Pour ceux et celles qui connaissent le monde des services de rencontres, beaucoup de ce que Bergström explique semble évident. Néanmoins, il est intéressant de voir ce qu’on croyait savoir implicitement décrit de manière explicite et scientifique. De plus, l’étude élucide des aspects invisibles à l’utilisateur contemporain, comme le développement technique des services de rencontres, et comment celui-ci règle l’utilisation.

En raison du progrès rapide du numérique, il est inévitable que le livre de Bergström, publié en 2019, soit déjà dépassé dans certains aspects. Il est clair, par exemple, que les chiffres cités - notamment concernant le nombre d’utilisateurs - ne correspondent plus aux chiffres actuels, qui sont beaucoup plus élevés. Mais cette expansion récente des services de rencontre est encore une raison de plus d’essayer de les comprendre, et «Les nouvelles lois de l’amour» est le texte idéal pour ceux qui souhaitent le faire.

SH_23/07/2020