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A PROPOS DU COURS DE DIDIER ÉRIBON À L'ETHZ

jonone1 280Frankfurter Buchmesse 2017 © JCS, CC BY 3.0

 

 


INVERSER LES TRAJECTOIRES INDIVIDUELLES

Texte: Laurence Hainault Aggeler


Didier Eribon à la Chaire de littérature et de culture françaises de l’EPFZ


Professeur titulaire à l’Université d’Amiens, Professeur invité par les universités de Berkeley, de Cambridge et de Valence.

Didier Eribon, philosophe et sociologue français, propose un séminaire ce semestre qui s’intitule: «Les mondes de la littérature».

Sa vie fut jalonnée d’engagements politiques en tant que militant, il fut journaliste, écrivain et chercheur. Mais toujours son travail tente d’élucider les transformations du monde social.

Aujourd’hui son enseignement et ses recherches portent sur les questions de théorie politique et de sociologie des classes sociales, particulièrement sur les modes de domination.

L'info sur le cours dans notre agenda

La rencontre avec EDOUARD LOUIS le 13 AVRIL 2021 portera sur: «Combats et métamorphoses d'une femme», sorti le 1er avril 2021


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Calme, souriant, attentif à la manipulation digitale du cours à distance, Didier Eribon nous prévient dès le début: il déplore le manque de contacts directs et l’échange en présentiel. Mais le sujet n’en souffre pas, il reste prenant, ouvert à des interventions étudiantes et riche de réflexions sur le rôle de l’autofiction et ses engagements. Tentons ici de reprendre les grandes lignes.

INVERSER LE STIGMATE
Sa propre expérience marque le point de départ: en quittant sa famille ouvrière afin de poursuivre ses études, Didier Eribon opéra une rupture personnelle, mais aussi politique. Il s’inventa une nouvelle position sociale libre de ses origines pour entrer dans un milieu d’intellectuels parisiens dont il devait apprendre les codes, les habitudes, les références. Son livre «Retour à Reims» se place dans un contexte sociohistorique. Le postulat est clair: «Quand nous arrivons au monde, nous sommes assaillis par des verdicts», c’est-à-dire des avenirs sociaux programmés. Si l’on refuse ce verdict, un sentiment de honte s’installe, mais il est possible de se réapproprier cette honte pour en faire une fierté. Le thème de l’inversion du stigmate constitue le fil rouge des présentations.

DÉNONCER AVEC LA LANGUE DE L'OPPRESSEUR
Le premier roman présenté par Didier Eribon, «L’amour, la fantasia» est celui d’une écrivaine algérienne ASSIA DJEBAR. Pour cet auteure, la date de naissance biologique, 1936, a peu d’importance au regard de sa date de naissance historique, 1830, date de la conquête de l’Algérie par la France. Sans la colonisation, Assia Djebar n’aurait jamais eu accès à l’école française ni acquis le moyen d’expression indispensable pour décrire l’invasion brutale de son pays, puis les horreurs de la guerre d’Algérie. Au terme de la narration, elle questionne son «explosion intime» avec la langue même de l’oppresseur. Utiliser le français comme instrument de dénonciation lui permet de se réapproprier la souffrance.

REFONDER SON IDENTITÉ DANS LA MÉMOIRE COLLECTIVE
Didier Eribon présente ensuite le cas d’AIMÉ CÉSAIRE. Cet écrivain prit conscience de son héritage au moment où il rentra dans son pays natal, après ses études à Paris. Il estima que la Martinique appartenait aux peuples coloniaux, dont le lien principal est celui avec l’Afrique. Dans «Cahier d’un retour au pays natal», Aimé Césaire décrit sa ville «étonnamment passée à côté de son cri», le cri de la révolte, le cri de la volonté anticoloniale. Il décide de retrouver la liberté de se déclarer noir, de refonder son identité dans une mémoire collective. Avec le terme «négritude», Aimé Césaire a voulu reprendre l’insulte pour en faire une affirmation. Ce renversement provocateur est une revendication politique clairement exprimée dans sa littérature.

ÉVITER LA SIMPLIFICATION
Troisième exemple choisi par Didier Eribon: l’écrivaine guadeloupéenne, MARYSE CONDÉ. Après avoir adopté les idées d’Aimé Césaire, elle vécut dans différents pays d’Afrique. En tant que créole, elle essuya plusieurs rejets et constata une véritable discordance. Dans «La vie sans fard», Maryse Condé décrit ses années africaines en Guinée, au Ghana, au Sénégal et son retour raté aux origines. Elle déclare: «La culture fuit toute simplification».
Dans son enfance, Maryse Condé a subi plusieurs traumatismes racistes «fondateurs» et a dû suivre un parcours de réappropriation individuel et complexe pour revendiquer fièrement sa «beauté» noire.

RÉHABILITER SANS MYTHIFIER
L’œuvre d’ANNIE ERNAUX constitue le dernier volet de cette première partie du cours. Didier Eribon se présente comme un de ses admirateurs inconditionnels, car son «écriture plate», pour reprendre les propres termes de l’écrivaine, refuse toute fioriture sans jamais perdre de sa puissance évocatrice. L’autofiction, «La place», présente l’endroit assigné par une structure sociale reproductrice de l’appartenance de classe. Annie Ernaux réhabilite dans ce roman, l'entourage de son enfance, ses parents, sans en faire une mythologie populiste. Véritable transfuge de classe, elle déclare: «Je veux venger ma race», phrase révélatrice de cette volonté de réappropriation de la honte reconvertie en fierté.

RENCONTRER EDOUARD LOUIS
Tout au long du cours, Didier Eribon illustre ses présentations de multiples conseils de lectures et de nombreux exemples. Il valide sa théorie avec une vraie rigueur scientifique et adopte des angles inattendus, tous inscrits «dans des trajectoires individuelles et collectives». Le 13 avril, Didier Eribon va inviter Edouard Louis, jeune écrivain français contemporain, dont le dernier roman autobiographique relate également ce refus du «verdict social». Une rencontre qui promet de faire rebondir l’actualité du sujet!

L.H.A 04/04/2021

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