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THE BUBBLE

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jonone2 280Pratique du rythme sur des ballons...jonone3 280Linda Vernon, propriétaire d'une armurerie-bijouterie
Bubble 2
Un autre jour au paradis...


UN DISNEYLAND POUR SENIORS

Texte: Valérie Valkanap


«UN DISNEYLAND POUR SENIORS», une ségrégation fondée sur l’âge

THE BUBBLE, documentaire de Valérie Blankenbyl (CH, AT, 2021, 91 mn)

Disponible en ligne sur www.thebubble.ch à partir du 28 avril 2021 et dans certaines salles comme le Kosmos à ZH.

La bande-annonce: ici


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ILS ONT FAIT LE CHOIX DE NIER LA RÉALITÉ EN VIVANT DANS UNE BULLE. Près d’Orlando (Floride) connu pour sa douceur de vivre et ses températures clémentes, «The Villages» regroupe 150'000 personnes âgées de 55 ans et plus dans une zone pavillonnaire de 142 km2 aux allures de village SIM: maisonnettes rigoureusement semblables et gazon vert printemps coupé ras, 100% sans moustique. Comme cette zone est desservie par des rues relevant du domaine public, on peut encore y pénétrer, mais des barrières à l’entrée en découragent l’accès aux étrangers qui doivent parlementer. Un ghetto. Les résidents ne le considèrent pas ainsi qui, entourés de vieux, ne se voient pas vieux. Selon leurs propres dires, ils n’ont jamais été aussi actifs et ça les maintient jeunes. Actifs à quoi?

«DU GOLF GRATUIT À VIE», tel est le slogan de The Villages. Les activités proposées font rêver les apprentis millionnaires: golf (54 terrains) natation (70 piscines), clubs sociaux (2'500) yoga, danse, karaoké, tir à l’arme… Grâce à des interviews menées de façon empathique, la réalisatrice nous fait entrer dans leur nouvelle existence. On réussit à comprendre ces gens: ils ont travaillé dur toute leur vie, ils ne veulent être à la charge de personne et tant qu’à faire, s’amuser un peu, avec l’espoir de rallonger de dix ans leur destinée. A priori, nul mal à ça. Sauf que derrière, se profile une opération marketing ressemblant fort à un embrigadement: dites Amen et applaudissez-vous, clame le pasteur qui accueille les nouveaux arrivants. Sauf que la communauté est composée à 98,4 % de blancs et aux deux tiers de républicains ayant voté Trump. Sauf que cette opération se fait au détriment de la nature et des indigènes…

LE JUTEUX BUSINESS DE L’OR GRIS N’A JAMAIS ÉTÉ AUSSI FLORISSANT. L’affaire est aux mains de la famille Morse. Au départ fondée par Harold Schwartz (en 1972, soit un an après l’ouverture du deuxième parc à thème Walt Disney World, dans le même Etat de Floride), c’était un simple parc à caravanes. Dans les années 80, il est devenu une communauté fermée pour retraités. En 2000, on comptait 8300 résidents. Vingt ans plus tard, la population s’est presque multipliée par vingt, l’expansion grignotant à belle allure forêts indigènes, pâturages et champs de pastèques. Les locaux craignent que la direction, qui achète en continu de nouveaux terrains, double sa surface dans les prochaines années. A ce rythme, la colonie de vieillards obtiendra bientôt la majorité dans le comté de Sumter. L’injustice règne, comme au temps de la conquête de l’or noir. Ceux qui ne veulent pas vendre se retrouvent purement et simplement encerclés. The Villages bénéficie de prérogatives choquantes. Si les «développeurs» peuvent construire une maison après l’autre, ce droit est dénié aux locaux sur leurs propres terres. Mais, comme dit une armurière pragmatique dont le commerce (prospère) se situe à l’extérieur de The Villages: «c’est mieux de vendre aux Yankees des terres que des melons». Alors on continue de les vendre.

QUELLE SOCIÉTÉ DU FUTUR FABRIQUE-T’ON ? Des vieux et des jeunes qui ne vivent plus ensemble. Des seniors subissant un lavage de cerveau (On entend Fox News 24h sur 24h partout dès qu’on met le nez dehors et la presse locale évite soigneusement les sujets fâcheux). Un bastion républicain là où dominait une tradition démocrate. Le patrimoine de toute une génération siphonné par l’achat d’une habitation (car naturellement, le bien immobilier revient à The Villages lorsque ses occupants meurent). La concentration de capitaux alors qu’alentours, le dénuement s’accroît (19% de la population d’Orlando vit sous le seuil de pauvreté), une terre à destination agricole disparaît, les ressources écologiques se tarissent (The Villages représente le plus gros consommateur d’eau), la réserve naturelle d’Everglades est menacée. Comme le souligne Lauren Ritchie, journaliste au Orlando Sentinel, ces gens sont venus précisément chercher un paradis qu’ils contribuent à faire disparaître par leur présence. Ne plus se sentir concerné par la marche du monde, c’est agréable pour les vieux qu’on décharge d’un poids et ça arrange bien les affaires de ceux qui les parquent.

(Publié le 27/04/2021)