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«S'IL N'EN RESTE QU'UNE»

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«Mais vous vous croyez où, monsieur le journaliste? Dans votre pays tranquille où on est libre de tout choisir? Choisir ce que l’on mange comme le métier que l’on fait? Est-ce que vous avez seulement une idée de notre espérance de vie, à moi ou à la camarade Asya? Nous, on dit: si on pouvait avoir quatre ou cinq ans, ce serait bien… Chez les Yapajas du Rojava, personne ne meurt du cancer.»

 


UNE ODE AU COURAGE DES RÉSISTANTS KURDES, UNE DISSECTION DU FANATISME

Texte: Laurence Hainault Aggeler


«S’il n’en reste qu’une», de Patrice Franceschi

Paru chez Grasset le 25 août 2021.
Finaliste du prix Fnac 2021.

Le livre était sur la première sélection pour le prix Goncourt.

Il en sera peut-être question le mercredi 27 octobre 2021 lors de notre rencontre, Les livres qu'on M, le choix Goncourt de la Suisse. De 19h à 20h30 à l'ETHZ. Entrée libre
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Romancier, aviateur et marin, Patrice Franceschi partage sa vie entre écriture, aventures et engagements. Il est notamment l’auteur de « Dernière nouvelles du futur» et d’«Ethique du samouraï moderne», il a obtenu le prix Goncourt de la nouvelle pour «Première personne du singulier».


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Rachel Casanova, journaliste dans la presse australienne, est envoyée par sa direction au Rojava, ancien nom du pays kurde, alors théâtre d’une guerre impitoyable menée par Daech. Les islamistes avancent comme un rouleau compresseur avec leurs chars, leurs blindés et des milliers de combattants barbares venus du monde entier: les Tchétchènes de Russie, les Ouïgours de Chine, les Saoudiens, les Pakistanais, toutes sortes d’Européens…  La reporter veut enquêter «sur le destin de deux figures légendaires, afin de raconter la pureté de leur cause, l’inflexibilité de leur lutte, les circonstances de leurs morts dans les décombres d’une ville assiégée de l’ancienne Mésopotamie».

UNE SITUATION DRAMATIQUE
Beaucoup de combattants sont des combattantes, les Yapajas. Elles ont redoublé de courage contre l’ennemi islamiste et continuent contre les Turques pour défendre à la fois leur terre et une certaine idée de la civilisation, où la femme a sa place. Ainsi Berivan, «dont la figure d’outre-tombe ne semble vivante que par les yeux, un tableau de Goya peint sur un visage Joconde», ou Qaraman «avec sa tête ronde, ses cheveux clairsemés, son corps empâté d’où se dégage une force animale, des bras énormes», ou encore les deux héroïnes incandescentes, Tekochine et Gulistan. Au milieu des paysages sublimes et dangereux, beaucoup d’autres les accompagnent.

UN ROMAN, UN MANIFESTE, UNE ODE?
L’auteur nous a prévenus: «Bien que les événements relèvent de la fiction, les personnages qui le traversent ne sont pas tous imaginaires, encore moins les lieux où se déroule leur histoire» (Préface). C’est donc aussi un manifeste qui nous alerte sur les manœuvres internationales, une dissection du fanatisme, une ode au courage des résistants kurdes, un hymne au dépassement de soi.

UN VOYAGE INITIATIQUE
En outre l’enquête amène la reporter occidentale de 50 ans sur des rivages intérieurs. Poussée dans ses retranchements, elle réfléchit sur sa manière d’avoir vécu jusque-là, la nécessité de se battre et le prix à payer pour la liberté, la dignité. Cela mène à coup sûr le lecteur à s’interroger sur son confort plein de vide.

LA VALEUR DE L'ENGAGEMENT
Nous nous croyons privilégiés, car nous vivons dans un univers douillet, loin des menaces et des horreurs de l’oppression. Mais, en fait, nous sombrons dans l’inaction lénifiante, alors que tous les gens rencontrés ici prennent des risques et trouvent du sens. Comme les tragédies les ont débarrassés de tout faux-semblant, ils sont vrais. «Au Kurdistan, la présence constante de la mort interdit la médiocrité par la force des choses».

NUK NE SORTIRA INTACT DE CETTE LECTURE
«S’il n’en reste qu’une» nous invite à réfléchir sur le besoin de lutter pour trouver une raison d’exister.  Très souvent, les sujets de notre littérature rappellent les leçons enrichissantes à tirer du passé, ils désossent les microcosmes corrompus de notre société ou décrivent les dangers de l’enfermement dans nos petites douleurs.

Voici un thème nouveau, une dénonciation du dérèglement du monde contemporain lorsqu’il conduit aux dérèglements intimes de nos systèmes de valeurs. Un roman nécessaire, en phase avec notre présent à questionner.  

Publié le 18/10/2021