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DÉFINITIONS, QUESTIONNEMENTS

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 Cours ETHZ Homme et animal

 


L'HOMME ET L'ANIMAL AU XIXe SIÈCLE. NOUVEAUX PARTAGES

Texte: Laurence Hainault Aggeler


Chaque mardi du dernier semestre, pour analyser certaines œuvres prophétiques du XIXe siècle, les auditeurs de la Chaire de littérature et de culture françaises de l’EPFZ ont retrouvé Claude Millet, une conférencière, dont le charisme s’appuie sur la rigueur de l’énoncé et un vrai plaisir d’étudier.

Résumons les thèmes principaux du cycle de ses présentations.

En savoir plus sur le programme de la Chaire


Notre précédent article: «De l'accumulation primitive à la restitution», Bénédicte Savoy


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UNE DÉFINITION AMBIVALENTE
À la croisée des sciences et des arts de l’avant-dernier siècle, un questionnement est advenu sur les
rapports entre les êtres vivants et l’environnement. Et ce, en prise directe avec nos interrogations
actuelles. Le mot «animal» vient de «anima», soit «principe vital» ou bien «âme». Deux
perspectives différentes: l’animal appartient-il au monde des êtres vivants avec les humains ou au
monde des êtres animés à l’exception de l’humain situé au-dessus, car il possède une âme? Deux hypothèses: la première, «continuiste», inclut l’humain dans le cycle animal alors que la seconde, «discontinuiste», met l’humain face à l’animal. Mais alors que deviennent l’animal domestique et l’animal de compagnie dans les pays dits civilisés? Où commencent les sentiments d’attachement, de
respect, de pitié? Peut-on parler ou non d’une pensée écologique qui intègrerait la domestication
dans la civilisation et poserait le principe d’harmonie humain/animal?

LES BASES DE L'ÉCOLOGIE POLITIQUE
On oublie souvent que le XVIIIe siècle s’intéressait déjà à l’équilibre écologique. En 1768, Bernardin de
Saint-Pierre, parti dans l’Île-de-France (Île Maurice) pour observer les ressources de la nature sauvage
avec les botanistes, vit son rêve de paradis fracassé tant il fut indigné par l’esclavage et l’exploitation
anarchique des terres. Il aura pour alliés Philibert Commerson, médecin explorateur et Pierre Poivre, botaniste, gouverneur éclairé de l’île, scandalisé par la destruction de la forêt. Ces 3 fondateurs jetteront les bases d’une écologie politique et d’une véritable pratique environnementale en luttant contre la déforestation qui avait fait mourir l’oiseau dodo. Ils alertèrent déjà les milieux savants du problème de la disparition des espèces et de l’importance de préserver les équilibres. Dans son roman «Paul et Virginie», la finalité providentielle ordonne le monde dont l’humain devrait garantir la
conservation.

EXPLIQUER L'ORGANISATION DU VIVANT
En 1809, après un long travail de classification des espèces, le naturaliste Jean Baptiste Lamarck fit paraître son essai «Zoologie philosophique». Il y décrit les êtres vivants comme des produits naturels
se développant en rapport avec l’action du temps. Quant à la Nature dynamique, elle procèderait par
séries, allant du simple au plus complexe. L’humain serait donc une complexification du singe antérieur
à lui. D’autre part, en 1830, Geoffroy de Saint-Hilaire essaya de démontrer la permanence d’une
espèce plus simple, apparue antérieurement. Sa conception de l'«Evolution» s'apparentait au
transformisme de Lamarck et le conduisit à affronter Georges Cuvier, résolument fixiste. L’étude du vivant prenait son essor, même si les définitions scientifiques envisagent clairement aujourd’hui un système fluide et instable de différences entre les espèces.

«LA QUERELLE DES ÂMES»
Peu à peu les mentalités changèrent. La résignation à la douleur fut   moins grande, la tolérance à la
cruauté diminua. Mais la révolution industrielle ouvrait la porte à une exploitation de la nature, donc à la violence destructrice. Jérémie Bentham posa le problème de la souffrance animale en rapport avec
le droit et la justice. Au milieu du XIXe siècle, «La querelle des âmes» se déclencha et à partir de 1840
la question devint névralgique en France. Certaines décisions juridiques furent prises afin de pénaliser la brutalité exercée en public sur les animaux domestiques.

LES ÊTRES HYBRIDES
En parallèle, le monde de l’imaginaire s’interrogeait. S'inspirant d'une légende lituanienne, la dernière
nouvelle fantastique de Prosper Mérimée, Lokis, parut en 1869. L’hybride, dont la mère a été violée
par un ours, hésite et prend le parti humain. Mais à la fin du conte sa bestialité lui fera tuer sa jeune
épouse et repartir vers les animaux. Une trentaine d’années plus tôt, Gustave Flaubert avait écrit
«Quid quid volueris», dans laquelle une animalité à l’intérieur de l’humain est également mise en
scène. Un hybride, à la fois pathétique et grotesque, issu de l’union forcée d’une femme avec un singe se retrouve interdit d’amour. Malgré son intelligence, son attitude bestiale et son physique bancal le
marginalisent et en font in fine un violeur et un meurtrier. Ces deux récits décrivent «de nouveaux
partages entre l’homme et l’animal».

LES CHIMÈRES ET LES MONSTRES
L'esthétique se peupla de chimères. Elles exprimaient le risque pour le progrès de créer des monstres.
Tel le dessin de «L’araignée souriante» d’Odilon Redon (illustration de présentation du cours), ou encore les sculptures, «La femme- poisson» de Camille Claudel, «La femme centaure» d’Auguste Rodin, «La centauresse et faune» d’Augustin Courbet. Au niveau pictural de nombreuses caricatures illustrèrent la dénaturation redoutée de l’animal. «Les animaux perfectionnés» d’Albert Robida, son cheval bicyclette ou sa tortue soupière, offrent des exemples parlants.

UNE INÉLUCTABLE EXTINCTION
Au tout début du XXe, les récits d’anticipation annoncent la disparition d’une race humaine dominante.
Dans la «La Mort de la Terre» parue en 1910, Rosny l’aîné entrecroise trois causalités. Le péril sidéral
s’inscrit dans le cosmos avec le réchauffement climatique et les secousses sismiques. Le péril organique fait apparaître de nouvelles maladies. Le péril humain se retrouve lié à l’excès d’extraction des ressources souterraines, l’extermination des animaux sauvages et la dénaturation des animaux domestiques surexploités. L’eau vient à manquer. Ce roman s’avère prophétiquement proche de notre actualité.
Les textes de George Sand, Charles Baudelaire, François René de Chateaubriand, Jules Vernes, Honoré de Balzac, Victor Hugo, Alfred de Vigny, Émile Zola illustrèrent tour à tour différentes étapes du cours.

Pour reprendre les termes de sa présentation, Claude Millet ouvrit «un espace de débats et de
contradictions dont notre présent est en grande partie issu et dans lequel il peut gagner à se réfléchir».

Une démarche intellectuelle à poursuivre ...

L.H.A 06/2022