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«ECRIRE CE QU'ON NE PEUT PAS DIRE»

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LOLA LAFON: UNE NUIT DANS LA MAISON ANNE FRANK, L'ANNEXE

Texte: Laurence Hainault Aggeler


«Quand tu écouteras cette chanson» de  Lola Lafon

Lola Lafon, EAN : 9782234092471, 180 pages, sorti chez Stock le 17 août 2022

Le principe de la collection:
Inviter des auteurs à passer une nuit complète dans le musée de leur choix, quelle idée farfelue des éditions Stock ! Pour leur collection «Ma nuit au musée», une bonne douzaine d’écrivaines et d’écrivains ont déjà vagabondé d’une salle à l’autre, toutes dépourvues de présence humaine, afin de livrer ensuite leur ressenti. L’exception des lieux et la magie de la nuit ont opéré. Et de très beaux livres en ont résulté.

Le samedi 29 octobre 2022, à 11h30: nous visitons l'exposition «Anne Frank et la Suisse» au Musée national, à Zurich.
Nosu vous invitons, lectrices et lecteurs, à nous rejoindre.
C'est une offre d'Aux arts etc. et du Musée national. La visite guidée se fera en allemand, avec traduction en français si nécessaire. En savoir plus


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UNE VÉRITABLE ÉPREUVE ÉMOTIONNELLE
Juive, Lola Lafon a choisi d’être confrontée à l’Histoire en passant une nuit dans la maison Anne Frank à Amsterdam, dans l’exiguïté de l’«Annexe», un refuge funestement célèbre où la jeune fille vécut cloîtrée avec sa famille deux années durant. Le texte oscille entre une interrogation sur les origines, le traumatisme de l’holocauste et le martyre de l’enfant confinée qui s’entrelacent avec certains souvenirs de l’écrivaine. En sort un livre riche de digressions surprenantes.

UN PROCESSUS DE RÉSURGENCE
Subir une émotion forte peut rouvrir d’autres blessures sans ordre ni cohérence. Tel est le processus de résurgence décrit par Lola Lafon qui avoue avoir «tourné le dos à l’abîme durant son adolescence», à l’époque d’optimisme mondialisé des années 80. Elle en profite pour faire l’éloge de «cet âge où le regard met à nu les compromis avec un courage irrévérencieux».

UN TEXTE IMPITOYABLE
Pour Lola Lafon adolescente, l’évocation de l’holocauste ravivait une peur refusée. Seule l’écriture a su éloigner plus tard les cauchemars. Un point commun avec Anne Frank qui conjurait l’angoisse en rédigeant son journal, «ferraillant» avec un texte impitoyable, car il demandait à «se déprendre de soi-même» comme disait Foucault. Lola Lafon le déclare: «Écrire est un geste apatride, une échappée sans ancrage en terre inconnue [… ] Et la route peut se transformer en impasse lorsque le récit se dérobe à son auteur et qu’il l’attend ailleurs.»

ECRIRE CE QU'ON NE PEUT PAS DIRE
Au fil des heures Lola Lafon évoque aussi son enfance roumaine sans abondance ni brillance, son ancien désir du monde occidental vaporeux. Sous Ceausescu, son quotidien était paranoïaque, car «on ne savait jamais qui était allié, informateur ou les deux à la fois». Ecrire permettait alors «de dire ce qu’on ne pouvait plus partager pour faire suite à ce qu’on avait perdu». Puis il a fallu supporter plus tard le jugement des railleurs qui souriaient devant les tabliers désuets en tissu synthétique fleuri et les blousons en faux cuir des gens de l’Est. Tout en affichant «leur bon goût, ce révélateur social impitoyable, héritage du savoir et de l’assurance qui va avec». Résultat: l’écrivaine revendique la liberté du mauvais goût. Et elle a bien raison!

AU COEUR DU VIDE
Les errances muséales de Lola Lafon ont déclenché une démarche d’introspection passablement désordonnée. Cette nuit dans l’«Annexe» d’Anne Frank fut au bout du compte la nuit de deux existences contemplées «au cœur même du vide». Mais quelle est cette chanson dont parle le titre? Ce serait bien trop long à expliquer. Gardons un peu de suspens.

LHA 31 août 2022