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AVEC POUR GUIDE, ENDO ANACONDA...

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jonone2 280Du temps de sa jeunesse...jonone3 280Anker dans son atelier...
Anker Endo Anaconda pointant les trésors de latelierQui n'a jamais eu envie de se glisser dans l'atelier du peintre?
Anker Endo commentant loeuvre dAnker
Ando Anaconda pointant les trésors de l'atelier...
Anker Nina Zimmer commentant les reproductions au mur
Nina Zimmer commentant les reproductions au mur.
Anker Les petits carnets desquisse
Les fabuleux petits carnets d'esquisses
Anker Noëmi Crain Merz historicienne dans la bibliothèque dAnker
Noëmi Crain Merz, historienne, dans la bibliothèque d'Anker





ANKER (1831-1910), LE PEINTRE QUI EXPRIME SON AMOUR DE L'HUMANITÉ

Texte: Valérie Valkanap


Albert Anker, Malstunden bei Raffael, de Heinz Bütler (2022, Suisse, 91 mn)

Sur les écrans suisses alémaniques à compter du 15 décembre 2022



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C’EST DANS UNE FERME À INS où il faisait bon se retirer loin des turbulences parisiennes (Anker a passé trente hivers à Paris) que l’intégralité de ce documentaire a été tournée. Avec l’atelier du peintre, le cinéaste Heinz Bütler (auquel on doit notamment le documentaire NZZ «Die Nacht ist heller als der Tag», magnifique biographie du peintre Andreas Walser) tient un lieu où traquer au plus près le monde de l’artiste: tout y est en effet exceptionnellement conservé en l’état. C’est là qu’Albert Anker, entouré des siens, a peint ses œuvres, dont de nombreux portraits et scènes de vie. Le plus souvent dans l’élan («comme les oiseaux chantent, je peins pour ma joie, point.») quelques fois aussi dans le découragement, car quel artiste ne connaît pas l’incertitude? Surprise: notre hôte n’est pas Matthias Brefin, présent pour nous parler des habitudes de son arrière-grand-père et nous présenter ses fioles de pigments, mais Endo Anaconda, le chanteur et écrivain bernois décédé en février dernier. Notre guide se glisse avec aisance dans la peau du peintre. Il lit des extraits de sa correspondance, pointant son incessant questionnement avec une empathie non feinte.

PÉNÉTRER DANS L’ANTRE DU PEINTRE, c’est tenter de cerner son quotidien. Invités à lui rendre visite, Nina Zimmer, la directrice du Kunstmuseum de Berne, le pianiste Oliver Schnyder ou encore le romancier Alain-Claude Sulzer poussent la porte avec ferveur et dévotion. Nina furète, traquant le précurseur, le défenseur d’idées radicales chez cet artiste plutôt répertorié comme un peintre reflétant les valeurs traditionnelles du travail, de la famille, de la patrie et de la religion. Oui affirme-t-elle, on peut avoir un coup de foudre pour un peintre minutieux, car génialité ne rime pas avec rapidité, comme on aurait trop tendance à le croire aujourd’hui. Olivier se lâche au piano familial (un Hüni & Hübert quelque peu désaccordé, ajoutant à la nostalgie qui ne manque pas de nous envahir), égrenant des partitions d’Edward Grieg, Scott Joplin, Joseph Haydn et Erik Satie. Alain-Claude feuillète quelques-uns des mille livres de la bibliothèque d’Anker. Il nous fait découvrir ses leporellos ainsi que ses petits carnets où, au milieu de croquis, figurent aussi bien ses impressions, impulsions, préoccupations que les comptes du ménage. Endo pointe les curiosités couvrant murs et étagères de cette caverne d’Alibaba, avec ses plâtres, photos, sculptures, photos, esquisses, reproductions, mais aussi ses grigris, hochet, talisman, crucifix, crâne, cafetière, coquillages et bien sûr aussi ses outils, tels ces pinceaux en poils de martre ou de blaireau que le peintre fabriquait et rafistolait lui-même.

CE FAISANT, C’EST LE MYSTÈRE DE L’ARTISTE QU’ON TENTE D’APPROCHER à travers son cadre de vie, son œuvre, sa correspondance. Est-ce vraiment l’ordre, la paix et la discipline que piste Anker en reproduisant multitude de portraits de jeunes filles penchées sur leur ouvrage, raccommodage ou tricot? N’est-ce pas plutôt qu’ainsi occupées, elles se laissent mieux appréhender? D’ailleurs chez Anker, les fillettes lisent beaucoup et dès six ans. Elles assistent à l’école, même si, siégeant en bordure de classe, elles n’ont pas vraiment droit à un pupitre. Qui, avant lui, les a ainsi représentées? Et quand il montre un enfant endormi près d’un vieillard, n’est-ce pas pour nous rappeler notre destin, plutôt que de donner dans l’image d’Epinal? Ses natures mortes n’ont pas d’autre fonction: redire que la mort (qui emporta deux de ses six enfants) n’est jamais bien loin. Quand l’artiste portraiture un alcoolique, il prend soin de lui préserver toute sa noblesse d’être humain. Car c’est par intérêt psychologique qu’il peint. Anker le dit: il n’est pas mû par la gloire, mais par la dignité. Il focalise son regard sur les choses qui ne changent pas par-delà notre condition humaine. Si Anker était heureux et satisfait de sa vie, selon ses propres dires, il n’en était pas moins imprégné par le doute. Une nécessité intérieure le tracasse. Sur une photo prise vers la fin de la vie d’Anker, Endo lit dans ses yeux un questionnement crucial: Ai-je bien fait? Oui, répond-il pour apaiser son âme.

Un beau documentaire qui nous emporte par degré sur la voie de la réflexion méditative.

V.V.  Publié le 9 novembre 2022