→ LIVRES/IDÉES

CE QUE JE SAIS DE TOI

jonone1 280

 

 


QUAND LES CERTITUDES S'ÉBRANLENT

Texte: Laurence Hainault Aggeler


«Ce que je sais de toi» d’Eric Chacour.
Prix Femina des lycéens 2023.

«Les hommes sont des nomades à l'arrêt [ …],  pour peu que cette vérité leur apparaisse soudain, qu'elle choisisse de jeter sa lumière crue sur leur quotidien, tout compromis à leur liberté devient alors insupportable».


→ PRINT


UN DESTIN TOUT TRACÉ
L’histoire débute au Caire, «une ville d’une entêtante présence olfactive», au sein d’une famille levantine chrétienne des années 80. Le père pratique une médecine lucrative qui lui vaut l’estime du cercle des nantis. La mère, mondaine accomplie, affiche ce genre de dignité qui n’abdique jamais. Elle surveille de près l’éducation de ses deux enfants: un frère et une sœur affectueusement solidaires. Ce microcosme est encadré avec intelligence par une servante dévouée et très curieuse. Les destins sont tout tracés: la fille fera ce qu’elle voudra tant qu’elle accepte le corset d’une société provinciale, le fils suivra le chemin de son géniteur.

LA PITIÉ DANGEREUSE
Mais Tarek, le descendant en titre, est idéaliste. Oui, il reprend le cabinet de son père, oui, il devient même chirurgien, mais il ouvre aussi un dispensaire gratuit pour les pauvres d’un quartier défavorisé. On lui pardonne cette incongruité, car il se marie par amour avec une personne «convenable» et reste apprécié des anciens patients de son père. Un beau jour pourtant, rattrapé à la fois par la pitié et le goût de la liberté, Tarek va choisir de suivre Ali sur un chemin de traverse. Les certitudes s’ébranlent.

UNE DOULEUR ASSUMÉE
S’en suivent des souffrances prévisibles. Un mystérieux narrateur reconstitue le drame en préservant le suspense et la fluidité de l'intrigue. Tarek est banni. Au Caire chaque personnage assume les non-dits sans trahir le sens du clan. La tâche s’avère douloureuse quand le secret s’installe!

FUIR POUR SE RÉPARER
«…tout est écrit d'avance, nous ne faisons qu'exécuter une partition dont les notes nous sont transmises au moment de les jouer». Le désespoir emmène Tarek très loin de l’Égypte, à Montréal où il émigre afin de réparer son identité. Mais on ne quitte pas impunément les siens. Le passé le rattrape, le narrateur se dévoile… avec un certain bonheur. Eric Chacour polit chaque phrase à l’infini pour en extraire l’essence poétique. La pudeur côtoie l’intensité émotionnelle. Ce premier roman est une révélation.
L.H.A 06/2024

Publié le 26 juin 2024