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CINÉMA, HISTOIRE ET LUTTE OUVRIÈRE
Les travailleurs italiens en Suisse des années 50 à aujourd'hui, du rejet à l'intégration. Pour certaines, un pas vers l'émancipation. De la solitude et de la résignation...
... à l'action collective.
DE LA CLASSE OUVRIÈRE À LA QUESTION DES ÉTRANGERS
Texte: Sandrine Charlot Zinsli
Die wundersame Verwandlung der Arbeiterklasse in Ausländer / La transformation merveilleuse de la classe ouvrière en étrangers
Un film de Samir, CH, 2024, 130'
En savoir plus:
Le site du film: https://www.working-class.ch/
Le film est sorti en septembre. Il est à voir dans de nombreux cinémas, assortis de discussions. Ainsi c'est avec ce film entre autres que le nouveau cinéma Korso à Fribourg ouvre ses portes le 19 septembre.
Le réalisateur Samir continue son exploration personnelle du passé proche. Dans son dernier film «Die wundersame Verwandlung der Arbeiterklasse in Ausländer», il relate l'histoire de la classe ouvrière italienne en Suisse, des années 1950 à aujourd'hui, tout en s'interrogeant sur son propre vécu et son engagement politique dans un monde en mutation.
DES ARCHIVES FOISONNANTES
Le film se construit autour d'un nombre phénoménal d'archives de grande qualité, d'interviews réalisés en Suisse et en Italie, d'extraits de films suisses en lien avec la thématique, mais aussi de passages animés qui le mettent en scène. Parfois les archives défilent assez vite, elles montrent bien dans leur profusion le climat xénophobe de l'époque. Sur toute une série de petites annonces dans les journaux, on peut ainsi lire alors: chambre à louer, «Italiens exclus/Keine Ausländer». La question du logement est cruciale pour les étrangers arrivant en Suisse, ils sont entassés dans des baraquements mal isolés, réfugiés dans des cabines téléphoniques ou des gares. Faute de regroupement familial, les enfants restent souvent au pays, sont parfois cachés et, à l'école, ils doivent subir le racisme ordinaire.
RAFRAÎCHIR LES MÉMOIRES
On a beau être au courant, ce n'est pas mal de nous rafraîchir la mémoire et de nous rappeler que périodiquement des votations populaires ont porté sur la présence des étrangers en Suisse. De l'initiative Schwarzenbach aux moutons noirs peuplant des campagnes d'affichages, la figure de l'étranger est l'un des thèmes récurrents, utilisés par les populistes. Le film évoque certains grands événements ou étapes (comme l'accident du barrage de Mattmatt en 1965 ou la fin du statut de saisonnier en 2002) ou encore la réticence des syndicats pendant longtemps à représenter les intérêts des travailleurs étrangers.
PETITE HISTOIRE CINÉMATOGRAPHIQUE
En plus d'une réflexion sur l'évolution du travail, l'organisation exemplaire de la communauté italienne (notamment le rôle émancipateur des Colonie libere), le réalisateur nous incite à découvrir toute une série de films suisses, du documentaire Siamo Italiano de Seiler, Gnant et Kovach (1964) aux films d'Alvarro Bizzarri Accolti a braccia chiuse (Accueillis à bras fermés) d'Alvarro Bizzarri. Sans oublier les films de fiction.
Pour les scènes dans lesquelles il apparaît adolescent puis jeune militant, Samir utilise la technique de la capture de mouvement. Ce qui surprend au début s'avère ensuite comme des respirations bienvenues, car le propos est dense.
MERVEILLE?
Pas de miracle ni de merveille dans cette histoire. Si les travailleurs italiens d'hier sont aujourd'hui bien intégrés en Suisse, ou bien repartis au pays, les problèmes d'accueil des étrangers demeurent, les baraquements continuent d'exister, et les frontières ont tendance à se refermer.
Publié le 16 septembre 2024