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TOUT LE BRUIT DU GUÉLIZ

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DÉAMBULATION DANS LE MELLAH

Texte: Laurence Hainault Aggeler


«Tout le bruit du Guéliz» de Ruben Barouk est paru en août 2024 chez Albin Michel

Citation
« Il n'y avait que le bruit. Seul le bruit était capable de la retenir un instant dans l'atonie du présent. Alors, tout ce qui empêchait ce bruit de surgir du plus profond silence devenait dispensable. Marcher, cuisiner, coudre, disparaître entre les lignes d'un livre, tout ce qu'elle avait eu jadis cœur à faire était devenu vain. Car son entière attention désormais appartenait à ce bruit, à cette noce silencieuse où se manifesterait, à pas feutrés, son amant détesté. Bientôt, elle couperait l'eau du robinet, mettrait sur la grille l'assiette à égoutter et s'enfoncerait à nouveau dans le fauteuil de l'entrée, silencieuse, prête à confondre son bruit, plus audible la nuit. »


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Ruben Barouk signe un premier roman très réussi en rapport avec une Histoire israélo-arabe qui n'en finit pas d'empiler ses drames aux conséquences depuis longtemps hors de contrôle.
Après la guerre des Six Jours en 1967 puis celle du Kippour en 1973, la plupart des communautés juives installées dans les pays arabo-musulmans émigrèrent, un des plus anciens quartiers hébreux du Maroc, le Mellah de Marrakech, a vu sa population juive passer de plus de quarante mille à deux cents personnes. L'une de ses dernières habitantes, Paulette, la grand-mère de Ruben Barrouk, demeure seule parmi les ombres du passé et devient la touchante héroïne d‘un des romans sélectionnés dans la première liste Goncourt 2024.

L’INAUDIBLE
Afin d'en avoir le cœur net sur ce bruit qui la persécute sans qu'elle puisse en détecter l'origine, sa fille et son petit-fils français viennent passer quelques jours chez Paulette, à Guéliz, l'arrondissement de Marrakech où elle réside désormais. Mais personne ne parvient à percevoir ce qu’elle tente désespérément d'exorciser à grands coups de vapeur d'encens.

NOSTALGIE
Pour celui qu'elle appelle affectu-eusement en arabe «mchikpara»  («je prends ton mal»), son petit-fils et le narrateur, la vieille dame s’accroche à des reliques d'un autrefois depuis longtemps figé. Le bruit qui lui emplit la tête est en réalité celui d'une mémoire existant pour elle-même, dans la nostalgie profonde d'une vie communautaire.

DISSOCIATION
Ce portrait magnifique respire la tendresse et l'affection de l'auteur pour une grand-mère à la fois forte et fragile, incapable de tourner la page de sa vie comme ceux qui partirent. Elle flotte ainsi dans une douloureuse dissociation entre son monde intérieur et une réalité où elle a perdu sa place et son identité.

LIENS ÉTERNELS
«Tout le bruit du Guéliz» est un hommage vibrant à ce temps du vivre ensemble entre Juifs et Arabes, quand les bruits du quotidien tissaient le fil d'une harmonie sociale aujourd'hui mise à mal. Dans une langue ciselée, Ruben Barrouk évoque les liens éternels subsistant malgré les exodes et ces petites choses de l’existence qui laissent planer l’espoir en dépit de l’horreur des conflits. L.H.A 11/2024

Publié le 11 novembre 2024