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EMILIA PÉREZ

jonone1 280

jonone2 280Ritajonone3 280Zoé Saldana à la danse et au chant
Emilia Perez Rita dans la maison au Mexique où elle sapprête à accueillir sa famille rapatriée de Suisse280Rita dans la maison au Mexique où elle s'apprête à accueillir sa famille rapatriée de Suisse
Emilia et Rita 280
Émilia et Rita
Emilia Rita et Emilia 280
Rita et Émilia
Emilia Jessi Selena Gomez qui se croit veuve
Jessi (Selena Gomez), qui se croit veuve
Emilia une couleurs Karla Sofia Gascon actrice trans fascinante
Karla Sofia Gascon, actrice trans fascinante




UN FILM DE GANGSTER PAS COMME LES AUTRES

Texte: Valérie Valkanap


EMILIA PÉREZ, un film musical de Jacques Audiard (132mn, F., Mexique), prix du jury de Cannes 2024, sur les écrans suisses alémaniques à partir du 21 novembre prochain.

Du 14 au 20 novembre à 12h15 au Lunchkino au cinéma Le Paris, à Zurich.


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JACQUES AUDIARD AIME LES CAS IMPROBABLES, c’est le moins qu’on puisse dire. Rita (extraordinaire Zoé Saldana), avocate d’origine mexicaine très douée, trime pour innocenter des criminels patentés. Elle se fait un jour enlever par Manitas del Monte (Karla Sofia Gascón, grimée), chef de cartel mexicain. Le dangereux mafieux ne désire pas moins que s’offrir une seconde vie en renaissant femme. Encore, si c’était un calcul pour échapper à son sort et revivre loin du crime, on pourrait comprendre. Mais non, c’est une âme sensible. Il tient à confesser que, déjà enfant, il se serait autocensuré car dans le monde ultra viril d’où il vient «il faut être encore plus porc que les porcs». A partir de là, soit vous adhérez à l’extravagance du réalisateur (De rouille et dos (2012), Dheepan palme d’or à Cannes (2015), Les Olympiades (2021)), soit vous quittez la salle. Or ça serait dommage, tant les rebondissements du film tiennent en haleine.

CAR LA VÉRITABLE HISTOIRE COMMENCE QUATRE ANS PLUS TARD, après que Rita s’est acquittée avec brio de sa mission. Elle a trouvé en Israël le chirurgien qui, dans le plus grand secret, a réalisé «vaginoplastie, laryngoplastie, mammoplastie» (on loue au passage les chansons dont le côté satirique justifie en quelque sorte l’excessivité du scénario). Puis elle a mis en scène la mort officielle de son client, s’est occupé de sa fortune et lui a fourni les papiers nécessaires à sa nouvelle vie. Aussi, au cours d’un dîner, quelle n’est pas sa surprise de reconnaître Manitas sous les traits d’Emilia, une convive expansive (Karla Sofia Gascón). Rita tremble, pensant qu’il est là pour éliminer le dernier témoin de son changement de sexe. En réalité, son ancien client est venu la solliciter pour rapatrier épouse et enfants envoyés vivre en Suisse (pays paisible et sans histoire, comme chacun le sait) et qui lui manquent. Dès lors, on s’agrippe à son fauteuil: on pressent que c’est juste une question de temps avant que n’explose la possessivité de Manitas. Bistouri ou non, l’ancien chef de cartel a gardé son caractère imprévisible et menaçant.

L’INCOHÉRENCE REPREND LE DESSUS au moment où Emilia fonde une association pour venir en aide aux victimes de la violence. Les couplets à l’occasion d’un arrêt sur image lors d’un banquet de bienfaisance sont certes bien tournés qui dénoncent l’hypocrisie de donateurs trempant tous de près ou de loin dans la malversation. Zoé Saldana conquiert le spectateur en dansant sur les tables pour clamer dans son costume de velours rouge que les riches «vont payer». Mais qu’Emilia, aidée par Rita, défende avec sincérité la cause des disparus liés au narcotrafic ne passe pas. C’est un peu trop facile. Qui a ordonné leur meurtre? On ne nous fera pas avaler qu’Emilia est résiliente, même si la résilience est un thème fort prisé de notre époque.

Il reste qu’on sort secoué de ce film pas comme les autres, aux intermèdes chantants percutants. Et si on a parfois éprouvé l’impression qu’il n’était pas très réaliste (le fait qu’il ait été tourné quasi en totalité en région parisienne sur fond neutre et qu’il recoure à de nombreuses images de synthèse y est peut-être pour quelque chose), il n’en demeure pas moins qu’il convainc sur un point: en nous exposant dès le début la terreur que Manitas inspire, on comprend rétrospectivement que la fin y était tout entière contenue. (V.V. 12.11.24)

Publié le 13 novembre 2024