→ CINÉMA
ALL WE IMAGINE AS LIGHT
Sortie au cinéma entre collèguesAnu va enfin se retrouver seule à seul avec Shiaz
Brabha dans le métro
Brabha dans un village au bord de la mer
Anu à la réception, en trian de rêver à Shiaz
Les amoureux, dans un pays où les mariages sont le plus souvent arrangés
UN PREMIER FILM PLEIN DE GRÂCE
Texte: Valérie Valkanap
ALL WE IMAGINE AS LIGHT, de Payal Kapadia (F, IND, NLD, LUX, 117 mn, 2024)
Grand Prix du Festival de Cannes 2024
Sur les écrans suisses alémaniques à partir du 19 décembre prochain.
A Zurich, le film est présenté au Lunchkino à partir du 12 décembre.
Aux antipodes des productions bollywoodiennes, un film plein de grâce.
CE FILM NOUS FAIT PÉNÉTRER DANS L’UNIVERS DES TRAVAILLEURS DE MUMBAI, mégapole indienne aux vingt-deux millions d’habitants. Ses trois héroïnes travaillent à l’hôpital. Prabha (Kani Kusruti) est infirmière en chef, Anu (Divya Prabha), réceptionniste et Parvaty (Chhaya Kadam), cuisinière. Anu et Prabha partagent un appartement à l’autre bout de la ville. Prabha reçoit un jour un autocuiseur envoyé, sans mention de l’expéditeur, depuis l'Allemagne. L’Allemagne où, après un an de mariage, s’est exilé un mari dont elle n’a plus de nouvelles… Accablement. La joviale Anu retrouve chaque soir dans la rue son petit ami Shiaz (Hridhu Haroon). Elle le cache à sa famille et à ses collègues parce qu’il est musulman. Leur restent les parcs et les parkings pour échanger des baisers. Quant à Parvaty, veuve, elle est en attente d’expulsion de son logement. Prabha tente de l’épauler mais, sans document écrit prouvant son lieu d’habitation, Parvaty n’a pas droit à une relocation. Mumbai a beau être la ville où chaque Indien rêve de vivre car c’est là qu’on espère trouver du travail et gagner de l’argent, elle n’est qu’une ville d’illusions. Une ville pulsant jour et nuit comme on le constate à l’écran et comme en témoigne Shiaz, pour qui la journée commence véritablement le soir.
TROIS FEMMES FORTES. Prabha, Anu et Parvaty gagnent tant bien que mal leur vie, sans dépendre de personne. Elles ne sont pas libres pour autant. Prabha parce qu’étant mariée, elle ne peut répondre aux avances d’un médecin pourtant bien attentionné. Anu parce que la menace d’un mariage arrangé plane sur elle et Parvaty parce que, privée de logement, elle va être obligée de rentrer dans son village. La légende veut qu’à Mumbai, plane un esprit interdisant de se mettre en colère. Autrement dit, plutôt que se rebeller, il faut accepter son sort. «Tu n’échappes pas à ton destin» lance Prabha à Anu. En est-il vraiment ainsi? Non, semble dire la réalisatrice dont c’est le premier long métrage de fiction. Commençons par nous autoriser à imaginer notre avenir.
DES PROBLÈMES DE SOCIÉTÉ ABONDANTS. Chemin faisant, les défis à relever sont nombreux. Il y a ceux spécifiques au pays. Le premier de tous étant la soumission de la femme au mari tout-puissant. A la réception des patientes à l’hôpital, Anu mentionne la stérilisation encouragée par le don d’un seau (?) et mille roupies. Mais les maris craignent trop qu’on les croit impotents. Il y a ensuite le problème des riches qui ont fait fortune dans l’immobilier et se croient au-dessus des lois. Il y a aussi des maux plus globaux tel que le réchauffement climatique et les inondations subites ainsi que l’emprise des religions sur la vie des gens. Et puis, là-bas comme chez nous, l’intrusion des réseaux sociaux chamboule tout (on rit aux commentaires d’Anu quand défilent sur son écran des prétendants tous plus vaniteux les uns que les autres). On réalise qu’en Inde aussi, il existe des travailleurs étrangers («le hindi est une langue déprimante, dit le docteur: kal signifie aussi bien hier que demain»). Enfin, on voit comment l’émigration crée des cassures dans les familles. Ce qui fait dire à Parvaty que lorsque les gens quittent le pays, ils perdent l’entendement.
Anu, Prabha, Parvaty et Shiaz se serrent les coudes. Une solidarité qui réchauffe leur cœur et leur permet de poursuivre leur rêve de lumière ou de légèreté, comme on voudra entendre le titre de ce film dépaysant, intense et pudique.
V.V. 28.11.24
Publié le 29 novembre 2024