→ CINÉMA
AGENT OF HAPINESS
Amber, agent du bonheur
Le vieux Thinley, 84 ans, se plait dans le Bhoutan d'aujourd'hui
On devine un climat rude sur les hauts plateaux du Bhoutan
Amber et Guna en train d'enquêter sur le Bonheur National Brut (BNB)L'enquête continue...
Amber emmène son amie Sanita se promener en moto.
Et si c'était cela, le bonheur?
LE BONHEUR A SES LIMITES AU ROYAUME DES NUAGES
Texte: Valérie Valkanap
QU'EST-CE QUE LE BONHEUR?
Le Bhoutan, un gouvernement au faible PIB (Produit intérieur brut), se rattrape en BNB (Bonheur national brut). Réalité ou propagande?
AGENT OF HAPPINESS (Bhoutan, 2024, 1h33), un documentaire de Arun Bhattarai et Dorottya Zurbó
Sur les écrans suisses alémaniques depuis le 20 mars 2025
MESURER LE BONHEUR DE SES HABITANTS, et non appréhender seulement leur bien-être par le biais des résultats économiques, cette idée aussi originale qu’ambitieuse a été lancée par le petit royaume himalayen du Bhoutan au début des années 2000. Dans la réalité, la notion se heurte vite à ses limites, comme le spectateur ne tarde pas à le découvrir dans ce film tout en finesses drolatiques et nuances poignantes.
S’il est possible d’établir l’ampleur des possessions matérielles (nombre de vaches, poules, chèvres, cochons mais aussi télévisions, ordinateurs, téléphones), le niveau de santé ou d’éducation, la qualité du sommeil, comment en revanche évaluer chez ses concitoyens leur taux de satisfaction, leur sens de la compassion, leur connexion avec la nature et bien d’autres notions toutes plus fluctuantes et subjectives les unes que les autres?
ATTRIBUER UNE NOTE DE 1 à 10 pour estimer la satisfaction de la population, c’est la tâche que se voient confiée Amber Kumar Gurung, bouleversant d’humanité, et son collègue Guna Raj Kuikel. À bord de la drôle de petite auto rose d’Amber, voici nos compères lancés à l’assaut des hauts plateaux sur des routes zigzagantes. Leur pays, coincé entre la Chine (Tibet) et l’Inde, de confession majoritairement bouddhique, rassemble moins d’un million de Bhoutanais à raison de 23 habitants par km².
Est-ce parce qu’il est surnommé le «Royaume des nuages» que ses habitants nous paraissent au premier abord planer, figés dans une sagesse hors du temps? Tel ce premier interviewé, Thinley, 84 ans, qui déclare se plaire parfaitement dans le Bhoutan d’aujourd’hui. Comme pour renforcer cette impression lénifiante de sérénité, on entend Amber fredonner des chansons d’amour au volant et on voit les moulins à prières tourner.
On aurait envie de prendre illico l’avion pour acquérir l’art de la paix intérieure. Las, des fissures ne tardent pas à surgir, cela malgré la volonté affichée du roi Jigme Singye Wangchuk (qu’on voit plusieurs fois apparaître à la télévision) de nous faire croire que les Bhoutanais seraient les plus heureux du monde.
COMMENT APPROCHER L’ÂME JUSTE PAR UN CALCUL? Dans un monde où l’automatisation gagne sans cesse du terrain, les peurs, soucis, frustrations, humiliations, envies, mais aussi la résilience, l’empathie, toute la vaste palette des sentiments et émotions semble parfois niée. Serait-ce parce qu’ils ne se chiffrent pas? Il nous faut pourtant continuer à souffrir et endurer notre condition humaine. Dans cette partie éloignée du monde, on note le poids de la solitude, des tabous, de la pression sociale, en particulier sur les filles, le fardeau de l’obligation de solidarité familiale et des croyances (prier pour l’âme des morts, comme si le sort de la nôtre ne suffisait pas à nous accabler). La levée en 1999 par le roi de l’interdiction de la télévision et de l’internet ne paraît guère avoir changé les choses.
Des travailleurs sur les routes confient qu’ils n’ont pas le loisir de se demander s’ils sont ou non heureux. Une artiste transgenre s’interroge: pourquoi suis-je comme je suis? Une fille de parents alcooliques se sent coupable d’être triste en comparaison des jeunes de son entourage et de son village «béni des dieux». Une mention spéciale au mari, abjecte personnage, qui «répond du bonheur de ses trois femmes» juste parce qu’il leur offre toit et couvert. Amber se révèle le plus mal chaussé des cordonniers, et pas seulement parce qu’il s’occupe de sa mère ou n’a pas encore trouvé d’épouse...
On ressort de cette projection profondément touché et plus que jamais renforcé dans notre humanité. V.V. 20.03.2025
Publié le 23 mars 2025_scz