→ CINÉMA
BERGERS
Félix-Antoine Duval interprétant l'écrivain Mathyas Lefebure, dont le film raconte plus ou moins l'histoire
Elise (Solène Rigot) reçoit une écharpe d'une villageoise
Berger, ça a l'air facile
Mathyas a trouvé son bâton de berger
Montagne, veux-tu nous épouser?
Un moment difficile
UNE EXPÉRIENCE AUTHENTIQUE, INSPIRANTE ET LIBÉRATRICE
Texte: Valérie Valkanap
Un film de Sophie Deraspe
(113', 2024, Canada/France)
Sur les écrans de Suisse alémanique à partir du 29 mai 2025
AVOIR UN RÊVE DANS LA VIE, ça aide à aller de l’avant. Mathyas (Félix-Antoine Duval), trentenaire, travaillait dans une agence de publicité au Québec quand, ne supportant plus la vie citadine, il a démissionné et s’est rendu à Arles. Son but? Devenir berger, avec la vague idée d’écrire un jour un livre sur le sujet (cf. le roman de Mathyas Lefebure qui a vécu en alpage dix ans durant et dont le film est tiré). On craignait un peu les clichés sur le thème du retour aux sources, mais pas du tout. L’humour nous sauve du pathos sur la fin du pastoralisme, même si le film nous fait bien savoir entre les lignes que l’agriculture industrielle a engendré beaucoup de dégâts. On y apprend, entre autres, que la laine des brebis ne vaut plus rien (et pourtant il faut bien continuer de les tondre). Avant de décrocher un job, Mathyas doit faire ses preuves. Au départ, les éleveurs se moquent de lui. Puis commence son apprentissage auprès de Tellier et Ahmed, un berger qui frappe et traite de tous les noms les brebis. Mathyas, écœuré par tant de violence, ne tarde pas à les quitter. Entre alors en scène Elise (solaire Solène Rigot) et le film acquiert une nouvelle dimension. Elise rencontrée lors d’une demande de permis de travail et qui lui avait lancé: «conseil de fonctionnaire: travaille au black!»
REVENIR À L’ESSENTIEL. Pour les brebis, l’important, c’est trouver à manger (d’où la nécessaire transhumance là où l’herbe est encore verte); pour l’être humain aussi. «Quand y aura plus rien à bouffer, on sera foutu!» lance Dudu. Quitter l’état sédentaire qui éloigne de la nature et compartimente les activités, mêler travail et loisirs… On se prend à rêver d’une seule et même vie, dictée par les tâches physiques indispensables à la survie. Un tel défi procure la haute satisfaction de la besogne accomplie, et bien accomplie. Impossible en effet de traiter les bêtes à la légère sans les mettre en danger, comme le montre très bien le film. On applaudit à la beauté des images de corps imbriqués, bêtes ou humains, célébrant une symbiose avec la montagne, «âme et organes» liés. Et on assiste, émus, à la transformation intérieure des deux protagonistes qui épousent la montagne avant d’oser tomber en amour.
NE PAS CROIRE QUE C’EST FACILE. Si Mathyas fuit le monde de la compétitivité et celui du rendement, il n’échappe pas pour autant à l’effort. Il doit aussi développer très vite de nouvelles compétences puisqu’il n’a aucune expérience de berger. Vivre avec son troupeau, se soucier de lui jour et nuit, est une grosse responsabilité qu’il ne faudrait pas sous-estimer. Il ne s’agit pas juste d’être capable de supporter, la nuit, cloches et bêlements continus. Les épreuves ne manquent pas. Il faut endurer la marche (gros plan sur les pieds en sang d’Élise), la chaleur, les longues journées de labeur, aimer les bêtes (la propriétaire du troupeau appelle les brebis ses «poulettes», Elise parle d’elles en disant «les filles» et dans ces mots, toute leur affection transparaît), tenir tête au mauvais temps, ne jamais se laisser aller à la paresse ou à la négligence. Et surtout, ne sous-estimer ni le loup, ni l’impact des dérèglements climatiques.
Chacun rêve de pouvoir échapper à ses factures, son loyer, son forfait Internet, son boulot. Le film, même s’il relève parfois du conte, fait un bien fou, car il nous fait croire que tout cela est possible. V.V. 4.05.25
Publié le 4 mai 2025
