→ CINÉMA
ON FALLING
Un premier film de Laura Carreira
À VIVRE ISOLÉ DES AUTRES, ON A L'IMPRESSION QUE LA VIE NE VAUT RIEN
Texte: Valérie Valkanap
ON FALLING, de Laura Carreira (104 mn)
Sur les écrans suisses alémaniques à partir du 12 juin 2025
UNE VIE D’AUTOMATE VAUT-ELLE D’ÊTRE VÉCUE? Jour après jour, quelque part dans les hangars labyrinthiques d’une société de vente par correspondance écossaise, la jeune Aurora, portugaise, (expressive Joana Santos) scanne des articles, puis les pose dans son charriot. Si cette monotonie devient vite pesante pour le spectateur, c’est bien parce qu’elle est intenable. C’est toute la force du film que de nous la faire sentir par le biais d’images répétitives d’un quotidien rébarbatif. On comprend que la réalisatrice (soutenue en cela par son producteur Ken Loach, dont l’engagement social n’est plus à démontrer) cherche à nous signifier la pénibilité d’un travail fastidieux et dépourvu d’intérêt (ceci en dépit d’une étonnante visite guidée d’entrepôt, apparue brièvement en arrière-plan, qui voudrait convaincre les gens de l’extérieur de l’attractivité d’un travail présenté comme une palpitante «chasse au trésor»).
UN LANCINANT SENTIMENT D’IMPUISSANCE combiné à la montée d’une irrépressible envie de sucre plombe Aurora. Elle vit avec trois autres colocataires exilés comme elle (dont Kris, polonais, et Theresa, espagnole). Elle se nourrit de pâtes, de sandwichs et de plus en plus de barres chocolatées. Elle n’a aucun passe-temps, à part faire ses lessives et se plonger à tout moment dans son téléphone. Au moins, à la cantine, ses collègues parlent. Certes des dernières séries à la mode qui rendent les gens prisonniers d’épisode en épisode et saison après saison, mais au moins cela fait un sujet de conversation. Aurora, elle, n’a rien à raconter. Du fait de sa précarité financière, elle n’a aucune marge de manœuvre dans sa vie privée dépourvue de loisir. Il lui suffit de casser son téléphone portable pour être dans l’impossibilité de payer sa facture d’électricité. C’est à cette occasion qu’on constate à quel point l’engin démoniaque est devenu indispensable, unique source d’activité et de divertissements dans la vie d’Aurora. Sans compter qu’il sert d’interlocuteur avec la hiérarchie, aussi invisible qu’inaccessible. Ainsi, pour prendre un jour de congé, les employés sont obligés de passer par une app gérée par le siège social. Nulle surprise, dans ces conditions, que des suicides aient lieu toutes les semaines. La discussion à la cantine sur la façon dont on s’ôterait la vie, comme s’il s’agissait d’un sujet comme un autre, fait froid dans le dos tant elle banalise l’acte.
LA PRESSION AU RENDEMENT. L’encadrement a beau être invisible, il n’en est pas moins omniprésent. On en veut pour preuve cette convocation d’Aurora auprès d’un petit tâcheron chargé de surveiller la productivité. La récompense d’une semaine «satisfaisante» se solde par le choix … d’une friandise dans un carton. Mais à la moindre relâche, il l’avertit aussitôt de reprendre la cadence. Il lui faut aussi se soumettre au test de dépistage de drogue ainsi qu’au jeu des récompenses, histoire de célébrer les meilleures performances lors d’une grande réunion de personnel. On atteint des sommets d’hypocrisie quand, à cette occasion, l’entreprise se défausse de sa responsabilité écologique sur ses employés en leur annonçant que le bénéfice de la vente de petits gâteaux (d’un vert plutôt dissuasif, sauf pour Aurora, désormais addicte au sucre) ira à la sauvegarde des océans… Bientôt arrive le jour de l’entretien d’embauche pour un job qu’on craint peu reluisant (Vous commenceriez immédiatement? Seriez-vous ouverte au travail de nuit? Rassurez-vous, pas besoin d’expérience…). La pression sur Aurora atteint son paroxysme. Arrivera-t-elle à se défaire du sentiment que ni son travail, ni sa vie privée n’ont de sens? Ce film prend le temps d’éclairer de vibrante manière toute la souffrance psychologique qui s’abat sur les personnes en manque d’interaction sociale. Amateurs de films d’action, passez votre chemin.V.V. 4.06.25
Publié le 5 juin 2025