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THE VILLAGE NEXT TO PARADISEMo Harawe est un jeune cinéaste somalo-autrichien
Araweelo prend la relève pour s'occuper de Cigaal
A l'hôpital où le père essaie d'obtenir du travail comme... fossoyeur
Cigaal doit fermer les yeux pour ne pas voir les arrivées de blessés à l'hôpital (on ne les verra pas non plus mais l'effet n'en est que plus fort)
Le petit garçon attend toute la journée son père
On devine quil meurt d'envie d'apprendre à écrire
Père et fils quoi qu'il advienne
AU PARADIS, ON FAIT DE SON MIEUX POUR AMÉLIORER LES CHOSES ET S'EN SORTIR
Texte: Valérie Valkanap
THE VILLAGE NEXT TO PARADISE (Autriche, Somalie 2024, 133 mn)
Un film de Mo Harawe
Sur les écrans suisses alémaniques à compter du 19 juin 2025
ON EN APPREND BEAUCOUP SUR LA VIE EN SOMALIE à travers ce récit d’une famille a priori sans histoire. Combien il est difficile de compter sur l’école pour alphabétiser les enfants, comment les femmes célibataires n’ont pas droit à un crédit bancaire, pourquoi chaque famille est marquée par des deuils à répétition… Mais ce foyer d’apparence tranquille (le père, la sœur, le fils) ne tarde pas à susciter beaucoup d’interrogations. On se demande par exemple quel genre d’activités mène Mamargade (Ahmed Ali Farah) ou sa sœur Araweelo (Anab Ahmed Ibrahim). Pourquoi divorce-t-elle? Qu’est-il donc arrivé à la mère de Cigaal (Ahmed Mohamud Saleban), fils de Mamargade à l’intelligence sensible? Pour peu qu’on ait de la patience, Mo Harawe comble petit à petit notre curiosité. Le jeu en vaut la chandelle: chaque protagoniste porte en lui une histoire d’une telle humanité qu’elle en est bouleversante. Le jeune réalisateur somalien s’entend à tisser les récits de ses trois personnages, allant de l’un à l’autre pour nous maintenir sur le qui-vive.
UN FILM NON DÉPOURVU D’HUMOUR ET DE POÉSIE. Araweelo, dont les longs regards expressifs valent bien des discours, a un rêve qu’elle compte bien réaliser un jour: ouvrir son commerce de couturière. Las, c’est compter sans son frère qui tape sans permission dans ses économies («ton atelier peut bien attendre un peu», lance-t-il) pour la bonne cause, il est vrai: placer Cigaal dans un pensionnat en ville. Qu’à cela ne tienne, Araweelo va trouver Jama qui lui doit de l’argent. On rit quand elle réussit à lui subtiliser une chaussure à titre de gage. Un autre débiteur meurt sans l’avoir remboursé? Elle s’en va réclamer son argent au chef de clan du décédé. Le vieil homme ne veut d’abord pas la croire. Pense-t-il vraiment qu’elle se permettrait d’insulter les morts? rétorque-t-elle. On admire son déterminisme à toute épreuve. Il a quelque chose de profondément ravigotant. On va se tenir les coudes, dit-elle plus tard à son frère mis sous les verrous. Et d’aller chercher le garçonnet à son pensionnat tous les week-ends à la place du père.
SI L’AMOUR EST OMNIPRÉSENT, LA MORT AUSSI. Il y a quelque chose d’absurde à gagner sa vie en enterrant les gens tués en masse dans les attentats. Il est atterrant de la passer à craindre qu’un drone vous abatte. Et il est désolant d’élever un enfant qui n’a aucune chance d’apprendre quoi que ce soit pour cause de défaillance de l’école… L’image du garçon auquel le père ordonne de se couvrir les yeux pour ne pas voir passer d’éventuels corps (hors champ) est d’une force terriblement efficace. Quand les bruits de panique s’amplifient soudain à l’écran, on se trouve projeté dans la tête de l’enfant avec toutes ses craintes et son imagination foisonnante. «A quoi ça rime de mettre des enfants au monde?» demande une femme désespérée qui vient de perdre sa fille de 20 ans et n’a plus de parentèle pour pleurer avec elle. Cigaal, lui, danse auprès de la tombe creusée par le père, protégé qu’il est par l’insouciance de l’enfance. Il ne voit pas venir la séparation d’avec lui; elle n’en est que plus brutale. Ici encore, avec un maître compréhensif, les hommes s’avèrent bien meilleurs qu’escomptés. Et le garçonnet comprend vite qu’il y va de son intérêt (quitte, pour ne pas manquer la classe, à renvoyer son père venu le voir).
Que faire quand toutes nos valeurs s’effritent? Continuer de transmettre l’amour contre vents et marées («ton père m’a priée de te dire qu’il t’aimait»). Croire en la résilience et en sa capacité d’abattre des montagnes, c’est encore ce qu’on a trouvé de mieux contre l’adversité. Un beau film porteur d’espoir même si le paradis est hélas gangrené par les attentats, les attaques récurrentes de drones, les trafics d’armes et le manque vital d’infrastructures. V.V. 6.06.25
Publié le 6 juin 2025