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JUST AN ACCIDENT

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jonone2 280Enterrer vivant son ancien tortionnaire, le plan semble près de se réaliserjonone3 280La photographe et les futurs mariés embarqués dans l'histoire
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Vahid Mobasseri
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Que fait la mariée au milieu du désert
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La police se demande ce que traffique le petit groupe


ON RECONNAÎT LE SALE TYPE AU FAIT QU'IL CROIT QUE LES AUTRES SE COMPORTENT COMME LUI

Texte: Valérie Valkanap


JUST AN ACCIDENT/UN SIMPLE ACCIDENT, de Jafar Panahi (2025, IR, FR, LU, 103 mn), Palme d’or au Festival de Cannes, sur les écrans suisses alémaniques à partir du 30 octobre prochain
Et au Lunchkino à partir du 23 octobre. 

Notre info dans l'agenda: ici


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TOURNÉ EN IRAN, avec les moyens du bord pour échapper à la censure, ce film de Jafar Panahi (dont on a encore en mémoire l’excellent Taxi Téhéran de 2015) nous concerne tous. Comment le réalisateur s’y est-il pris? Partant du principe que chacun sera d’accord pour dire qu’on ne peut accuser quelqu’un à tort, il nous montre Vahid (Vahid Mobasseri) en train d’enterrer vivant celui qu’il croit être «La Guibole», son ancien tortionnaire (Ebrahim Azizi). On est choqué et, en tant que spectateur, notre intérêt est tout de suite éveillé. L’homme nie si farouchement que Vahid commence à douter. Alors, comme il est un type bien, il se met en quête d’autres victimes qui pourraient confirmer que l’homme qu’il a enfermé dans son van est bien leur bourreau. Par le témoignage des uns et des autres, le réalisateur (qui est passé par la prison d’Evin et sait de quoi il parle) donne à imaginer en quoi les autorités de son pays maltraitent ses concitoyens. Non seulement les tortures subies par les victimes ont blessé leur corps (Vahid se tient les reins et a même été surnommé «la cruche»
à cause de ça), mais elles les ont aussi durablement atteintes dans leur psychisme.

LA RAISON DU PLUS FORT EST-ELLE TOUJOURS LA MEILLEURE? Les ravages commis sont incommensurables. «Il a pris 5 ans de ma vie, à 100 personnes, cela fait combien d’années?» interroge Vahid. Il est intéressant de voir que toutes les victimes ne réagissent pas pareil. Il y a ceux qui ne veulent pas savoir (tel Salar, le premier témoin, rencontré à la librairie), ceux qui refusent de se comporter comme des tueurs, ceux qui ont peur des représailles («Kidnapper un agent du renseignement, ce n’est pas rien»). Il y a ceux qui veulent entendre le type avouer ses crimes (Goli, Shiva, Vahid). Et il y a ceux qui, obsédés par la vengeance, veulent recourir à la violence, tel Hamid. Chez lui, la torture a tellement altéré la perception de la réalité qu’il voit le mal partout et soupçonne chacun d’un mauvais coup. Il dit: «si tu ne tues pas, tu te fais tuer».

POUR QUE LE FILM NE SOIT PAS PESANT, le réalisateur a eu recours à d’excellentes trouvailles. Telle celle de choisir une mariée et sa photographe comme anciennes victimes. Cela apporte un peu d’excentricité et de comique («tu parles d’une séance photo!» se plaint le marié) dans cette affaire qui ne l’est pas du tout. À l’évocation de ses années de prison, la mariée s’évanouit (La Guibole voulait la déflorer pour … l’empêcher d’entrer au paradis des vierges). Le réalisateur profite de cette recherche de témoins pour nous faire partager un peu du quotidien en Iran. Des flics se font graisser la patte par carte bancaire au prétexte que le petit groupe n’a pas l’autorisation de prendre des photos de mariage. Un pompiste, une infirmière, s’associant à la joie des mariés / de celui qui devient père, réclament un «cadeau». Le rebondissement de l’affaire, au moment où le téléphone sonne dans la poche de La Guibole qu’on a assommé de somnifères pour le faire tenir tranquille est surprenant. Encore une sacrée trouvaille qui montre la grande humanité de Vahid (vous aurez beau nous torturer, semble dire le cinéaste, nous resterons des humains). Elle nous entraîne cette fois à l’hôpital. Notons au passage que là-bas, on paie d’avance sinon on ne reçoit pas de soins et que la femme, sans son mari, n’est rien (on ne peut pas la prendre en charge en son absence).

A la fin du film, le doute envahit à son tour le spectateur. Mais hélas, ce n’est pas celui qui taraude Vahid au début du film. On en ressort knock-out. Grandiose.
V.V. 15.10.25

Publié le 16 octobre 2025