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LA MANIF DU 11 JANVIER DE L'INTÉRIEUR

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UN TGV VIDE, LE CENTRE DE PARIS - PLEIN À CRAQUER

Texte: Corinne Roy


Carnet de bord de Corinne Roy. Zurich-Paris-Zurich


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«Bonjour, je m’appelle Charlie, je suis votre maître de bord». Ce dimanche 11 janvier 2015, à bord du premier TGV en partance de Zurich et filant vers Paris, ce sont ces mots, sortis d’un haut-parleur, qui ont donné le ton. Ils ont été répétés en plusieurs langues: ich bin Charlie. I am Charlie.

Le TVG est très vide et on se demande dans quel état on allait trouver Paris. Etonnamment, aucun policier ou militaire en vue dans la gare de Lyon, contrairement à d’habitude. Toutes les forces de l’ordre sont-elles mobilisées plus loin? Pour la manif?
Paris est vide comme un dimanche matin, des papys à casquette qui promènent leur toutou, des jeunes cadres qui vont leur jogging. Il y a du soleil et on se dit que François Hollande doit être content, lui qui est le spécialiste des sorties sous la pluie.

12 heures. On prend le métro (c’est gratuit, on veut vivre ça une fois!), on sort un peu après République pour ne pas être bousculés dans la foule. Toujours pas de forces de l’ordre en vue mais les manifestants commencent à arriver. On traine dans le quartier du canal Saint Martin où les passants son invités à s’exprimer sur de grandes feuilles blanches collées sur les murs (voir photo). Vers 14 heures, les petites rues se remplissent de monde mais nous arrivons sans problème à République, sur la place où il est prévu que la manifestation commence. Au passage, on aperçoit sur un toit deux policiers en train de scruter l’horizon (quand même!) mais, à part ça, pas de déploiements massifs de forces de l’ordre autour de la manifestation. On en verra que sur les grands carrefours, à Bastille par exemple.  Ça, ça m’a surpris.

L’autre étonnement, c’est l’atmosphère de la manifestation. Après avoir vu quelques reportages sur l’émotion des défilés en province, le samedi, je m’attends à un silence pesant, à des pleurs peut être. En fait, la manif est plutôt sereine et optimiste.

A 15 heures, la manif aurait dû commencer à s’ébranler. Pas un signe de mouvement, impossible de voir ce qui se passe. On attend. On n’a aucune vue d’ensemble, aucune information sur ce qui se passe. On ne voit pas grand chose, que des têtes et des têtes, et par ci par là quelques drapeaux tricolores qui flottent. Quelquefois, un gros crayon passe, porté de bras en bras. Pour nous distraire, on regarde en l’air les grappes de journalistes qui font le cliché du siècle, postés dans les étages supérieurs des bâtiments qui entourent la place.

On est seuls entre nous. On discute avec nos voisins. Il y a des vieux, des pères avec leurs enfants, des vendeurs de l’Humanité édition spéciale et pas mal de trentenaires. On leur explique que la présidente suisse est aussi venue pour manifester. Ils écoutent médusés son nom un peu compliqué, qu’ils n’ont évidemment jamais entendu. On les rassure: elle n’est présidente que depuis 11 jours!
Notre coin de la manif est du genre calme. On papote un peu, on rigole gentiment. C’est bête à dire, mais on est contents d’être là ensemble.
Parties de coins plus dynamiques de la Manif, on entend des Marseillaises que  notre « quartier  de manif » rattrape pour le refrain final.

Des paroles appropriées: Comme les minutes passent sans le moindre mouvement, on chante en appuyant très fort sur les paroles «MARCHONS ! MARCHONS». C’est vrai, quoi, c’est pour marcher que nous sommes venus! On clame aussi régulièrement: «Charlie! Charlie!». Quand on entend une sirène au loin qui fait «pin-pon pin-pon». On répond sur la même hauteur de sons: «Char-lie Char-lie.». Je ne sais pas pourquoi mais notre cœur est léger, personne n’a envie de pleurer.

A 15h50, nous faisons en bloc notre premier pas vers Nation! Puis, c’est fini. Dans les trente minutes qui suivent, nous  réussissons à franchir 20 mètres. «Il y a 3 kilomètres jusqu’à Nation, le point d’arrivée», rappelle l’un de nos amis. Il est 16h30, on est tout juste en train de quitter la place de la République. Nous, on commence à s’inquiéter pour notre train qui repart pour Zurich à 18h30. Comment sortir de cette marée humaine?

Comme «impossible n’est pas français», on a réussi à prendre notre train.
On est reparti avec plein d’énergie, heureux. Cela nous a fait du bien d’être avec les autres, de voir qu’ils sont debouts. Pourtant, en parlant avec les uns et les autres, en regardant autour de nous, on a bien compris que la manif ne réglait aucun problème. Et que des problèmes, il y en avait beaucoup à résoudre, dans ce pays multiculturel et multiconfessionnel au passé colonialiste.
Mais des millions d’hommes de bonne volonté, il semble y en avoir.

EPILOGUE: C’est la première fois qu’on a fait un aller-retour Zurich-Paris en une seule journée: 9 heures de train …. pour 7 heures de présence sur place ! Un peu spécial…
On arrive à Zurich le cœur léger. Sur le quai, on rencontre d’autres français de Zurich qui ont fait le même voyage et qui sont, eux aussi, soulagés et heureux d’être allés à Paris ce dimanche 11 janvier 2015.

Corinne Roy, le 12 janvier 2015