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L'ART DE RESTER CHEZ SOI...

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fleursfleursfleursfleursPhotos: Sandrine Charlot Zinsli - Avril 2020_ De ma fenêtre dans le Kreis 6 - Les clématites défilent à l'envers, innocentes, naïves, vivantes! Elles s'échappent...

 

 


SANS ÊTRE ÉCRASÉ PAR LE TEMPS

Texte: Laurence Hainault Aggeler


Retrouvons-nous le 16 septembre à 18h30 à la Librairie mille et deux feuilles à Zurich

Pour la troisième édition de notre rencontre «LES LIVRES QU'ON AIME»

Il sera question d'essais.


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L’ÉCRASEMENT DU TEMPS
David le Breton écrivait: «Le zapping et le surfing deviennent les morales essentielles du rapport au monde (…) Un individu contemporain est soumis à l’écrasement du temps sur l’immédiat puisque rien n’est plus donné dans la durée, mais dans la saisie de l’instant». Puis il expliquait comment la hantise de ne plus être en phase avec l’actualité amenait à un temps séquencé allant d’une tâche à une autre. Suivait l’injonction de rendement, d’efficacité, de disponibilité qui exige d’agir plus vite que son ombre. Mais il notait le début d’un mouvement contraire: «La frénésie de la vitesse appelle en réaction la volonté de ralentir, de calmer le jeu. Une forte résistance politique et citoyenne se mobilise à ce propos». (Paru dans le journal Libération- Juin 2014).

L’ART DE RESTER CHEZ SOI
Le jeu s’est calmé de façon inattendue, totale, générale. Le temps est enfin venu de jouir en paix de sa liberté. Faire le vide des objets inutiles, cultiver son jardin ou les fleurs de son balcon, se consacrer à sa famille, bricoler, téléphoner longuement aux amis, lire, «retrouver notre tortue intérieure» comme le suggérait joliment le journaliste canadien Carl Honoré.

Mais notre économie est numérique. Très vite, se sont déversées les consignes astreignantes du travail en ligne, une pagaille d’informations sur les dangers du virus, un nombre incalculable d'alertes digitales. Le mot d’ordre: redonner à notre enfermement l’abondance et la rapidité. Pas question de voir disparaître «cette forme d'extase dont la révolution technique a fait cadeau à l'homme» (Milan Kundera).

DE L'HABITUDE À L'ADDICTION
Or de nombreux médecins s’alarment. La situation sanitaire actuelle ainsi que l’isolement induit par le confinement génèrent pour certains un grand sentiment d’insécurité, de stress, d’angoisse et représentent un risque majeur d’addiction numérique. Bien que cette dépendance n'ait pas encore trouvé sa place dans les manuels officiels des troubles mentaux, les experts ont repéré quelques symptômes, entre autres une anxiété accrue. Le télétravail est incontournable, mais rester collé à l’écran pour éloigner la peur du virus, peut transformer une habitude en addiction, ce qui augmente cette même peur. Un cercle vicieux s’enclenche alors avec perversité.

SAVOIR CHOISIR
S’envoyer des blagues plus ou moins drôles (le rire protège), écouter les meilleurs ténors chanter sur leurs balcons, suivre les plus grands conférenciers, visionner des films inédits, pourquoi pas? Oui, mais restons sélectifs, car nous voici plus que jamais entre les mains du pouvoir numérique. Des centaines de messages, d’alertes, d’«infoxs» et de vidéos médiocres s’incrustent et entretiennent notre dépendance de bons consommateurs dociles et de plus en plus transparents. Au risque de dévorer le temps qu’on croyait avoir récupéré! Le moment est crucial pour ralentir, redécouvrir une qualité de vie sans éparpillement, entrecoupée de longues plages hors connexion. Pas question de tout refuser en bloc, mais de choisir avec parcimonie, discernement. Sinon la journée sera nocive, de nouveau stressante. Trop bête, non?

L.H.A. 19/04/2020