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LE MAGE DU KREMLIN

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La fin...

«Tu es là, tu attends une chose, tu la désires de toutes ses forces. Elle se produit enfin et, juste après, tu te rends compte que ta vie est gâchée. Ou le contraire. Le ciel te tombe sur la tête et après un peu de temps, tu te rends compte que c’est la meilleure des choses qui pouvait arriver. Crois-moi, la seule chose que tu peux contrôler c’est ta façon d’interpréter les événements. Si tu pars de l’idée que ce ne sont pas les choses mais le jugement que nous portons sur elle qui nous fait souffrir, alors tu peux aspirer à prendre le contrôle de ta vie. Sinon tu es condamné à tirer sur des mouches avec un canon».

Vladislav Sourkov ou Vadim Baranov ?

 


FRESQUE DE LA RUSSIE CONTEMPORAINE, MÉDITATION SUR LE POUVOIR

Texte: Laurence Hainault Aggeler


«Le mage du Kremlin» de Giuliano da Empoli

Inspiré de faits et de personnages réels auxquels «l’auteur a prêté une vie privée et des propos imaginaires»,  Giuliano da Empoli déroule ses analyses politiques avec une légèreté toute littéraire. Résultat:  chaque explication, chaque réflexion s’insère naturellement sans jamais alourdir l’intrigue.

Ce livre sorti cette année chez Gallimard est en lice pour le prix Goncourt.

C'est l'un des livres que nous présenterons le mardi 25 octobre, à l'ethz, dans le cadre de la rencontre Les livres qu'on M - Le choix Goncourt de la Suisse. Im Rahmen von Zürich liest.

L'auteur est invité au Club 44 à la Chaux-de-Fonds le 1er novembre.

Le livre sortira en allemand l'année prochaine.


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TOUT COMMENCE PAR LE NARRATEUR
Un universitaire français vient à Moscou pour ses recherches sur les œuvres méconnues d’Evgueni Zamiatine, écrivain russe du XIXe siècle. Il y rencontre Vladislav Sourkov, rebaptisé Vadim Baranov, le «Raspoutine du Kremlin», éminence grise de Poutine jusqu’en 2020, année où il disparaît mystérieusement de la scène politique. Réfugié dans une élégante datcha héritée d’un grand-père issu de la noblesse russe, l’ancien conseiller fut d’abord un aristocrate théâtreux mué en producteur de télé-réalité. Il décrit au narrateur comment le «Tsar» voit en lui un spécialiste de la manipulation capable de «mettre le réel en scène» pour servir son goût démesuré de la «verticale du pouvoir».

LA PERVERSITÉ D'UN SYSTÈME
Mégalomanie, corruption, faux opposants, meurtres, désinformation, propagande, contrôle des réseaux sociaux, complotisme et conspirationnisme … la perversité de ce système et ses conséquences sont finement évoquées. Vladimir Poutine «fait partie de la race des grands acteurs» et, au fil du temps, le «fonctionnaire ascétique» se transfigure en «archange de la mort». On le suit ainsi dans les soirées mondaines côtoyant oligarques, généraux des services secrets, hommes politiques et courtisanes.

VOIR PLUS LOIN QUE NOTRE ÉTONNEMENT
Le politologue et essayiste Giuliano da Empoli, dont c'est le premier roman, pénètre la psyché de ses personnages et d'une plume virtuose nous éclaire sur la vision du monde de Poutine sans être moralisateur ni sombrer dans la caricature. Il nous invite à voir plus loin que l’étonnement occidental issu des jugements médiatiques corrosifs et lapidaires. Enrichi d’une meilleure compréhension des intrigues politiques récentes, ce tableau des rapports de pouvoir entre la Russie et l’Occident interroge le bien-fondé de nos certitudes actuelles.

D’AUTRES PERSONNAGES S'IMPOSENT ET DISPARAISSENT
Comme Mikhaïl. Cet homme d’affaires trop avide, grand amateur d’héliski, de jets privés et d’hôtels cinq étoiles traite la culture de gadget acheté à bas prix pour distraire les maîtres du monde. Il sera écarté d’un revers de la main tout comme Boris Berezovsky. Directeur d’une chaîne télévisée où travaillait Vadim Baranov, ce dernier avait compris la nécessité de sortir la Russie du chaos consécutif à la chute du système soviétique. Il réussit à convaincre Poutine de se présenter aux élections mais se fourvoie sur le caractère du futur dirigeant, cherche trop à s’imposer et sera banni d’un pays qu’il adore. Quant au grand amour de Vadim Baranov, la ravissante Ksenia, peut-on imaginer une allégorie plus réussie de l’âme russe, sa dureté, sa beauté imprégnée de folie imprévisible?

«LE MAGE DU KREMLIN» EST UN COUP DE MAÎTRE.
Enfin, les dernières pages visionnaires sur l'émergence d'une forme de pouvoir absolu lié aux nouvelles technologies, parasites de l'homme et qui pourraient le supplanter, parachèvent magistralement le roman. 

L.H.A

Publié le 27/09/2022