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!ÏNOUÏ!

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MENU DE PÂQUES POUR LES OREILLES 1/5

Texte: Nathalie Musardo Sigrist


Ami lecteur, amie lectrice, ouvre grand tes oreilles. Installe-toi confortablement, détends-toi, ferme les yeux... Enfin peut-être un seul si tu veux poursuivre ta lecture. Pour !ÏNOUIÏ!, notre chronique sporadique de musique classique/jazz, mais pas que, Aux arts etc. te prend par la main et te propose de découvrir des contrées inexplorées. Ça ne fera pas mal et ce sera rien moins que passionnant, émouvant, enrichissant. 

Au fil de l'actualité ou au hasard du coup de cœur totalement subjectif, nous présentons à tes oreilles avides des enregistrements d'œuvres époustouflantes réalisés par des artistes admirables, des révélations formidables, des interprétations inégalables. 

Nous te recommandons vivement de cliquer sur les liens (marqués ainsi >>) en lisant ces lignes, ce sera beaucoup plus parlant. 

En ces temps perturbés et confinés, à défaut de pouvoir courir chez ton disquaire préféré, shoppe en ligne, télécharge ou streame. Équipe-toi d'un bon fauteuil et de haut-parleurs ou d'un casque dignes de tes écoutilles et de ces lieux enchantés où nous t'emmenons.


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C'est un Carême, un temps de pénitence en temps de pandémie, dont on se souviendra. Alors que la musique sacrée de la Semaine Sainte est foisonnante, l'ascèse sociale et culturelle que nous vivons en ce printemps la réduit, comme toute la création artistique, au silence des églises et salles de concerts vides et verrouillées. Pour accompagner ces jours particuliers, voici une playlist pascale, un agenda musical virtuel dont les cinq rendez-vous se déroulent dans ton salon. 

LEÇONS DE TÉNÈBRES POUR LE MERCREDY

Si tu avais vécu en France au temps de Louis XIV et apprécié l'opéra, tu en aurais été privé pendant le Carême. En mal d'extravagance vocale, tu te serais alors probablement tourné·e vers la liturgie pour te délecter des compositions de Charpentier ou Couperin. Alors que les Leçons de ténèbres doivent être exécutées durant les offices à la première heure des Jeudi, Vendredi et Samedi Saints, elles étaient anticipées à un horaire plus commode la veillepour le confort du public. C'est pourquoi notre premier rendez-vous a lieu un mercredi.

Imagine-toi, ami·e mélomane, dans la chapelle de l'Abbaye de Longchamp éclairée aux cierges et plongée petit à petit dans l'obscurité, pour symboliser la descente de Jérusalem vers les ténèbres. Le premier nocturne met en musique les Lamentations de Jérémie: En 586 av. JC, après trente mois de siège, la population affamée, humiliée, cloîtrée entre ses murs, est violée, pillée, massacrée par les troupes de Nabuchodonosor. Le prophète en a livré un récit poignant, interprété comme une allégorie du deuil éprouvé entre la crucifixion de Jésus et sa résurrection, qui commence par ces mots qui sonnent étrangement actuels: «Comme elle est assise solitaire, la cité qui était pleine de monde»...

Venons-en tout de suite à la Troisième Leçon pour le Mercredy >> de Couperin (1714), peut-être la plus chargée émotionnellement: Dès les premières notes, les deux voix frottent puis partent chacune dans de délicats mélismes, créant par ces dissonances et résolutions des tensions harmoniques saisissantes.

Si tu avais visité Rome à la même époque, tu aurais entendu parler du Miserere de Gregorio Allegri >> ou, chanceux·se, tu l'aurais même entendu chanté. Le Psaume du Roi David était psalmodié par un chœur, puis commenté et ornementé par un autre placé à quelque distance pour créer un effet d'écho dramatique.

Alors que tu peux l'écouter aujourd'hui à ta guise, il n'était interprété que les Mercredi et Vendredi Saints dans une Chapelle Sixtine plongée dans le noir, et le Vatican défendait de le reproduire sous peine d'excommunication. Le 11 avril 1770, le jeune Mozart en voyage à Rome assiste aux Offices des ténèbres et, prouesse défendue, transcrit le Miserere de mémoire! Le pape le convoque, mais, impressionné devant tant de génie, ne lui en tient pas rigueur et le fait chevalier de l'Ordre de l'Éperon d'or.

Par ailleurs, le génie dont font preuve les interprètes dans les vocalises cristallines que tu entends ne représente qu'une partie du talent tant vocal que d'improvisation des castrats. On sous-estime souvent à quel point la musique était improvisée jusqu'au XVIIIe s., mais cette pratique s'est peu à peu perdue. Seule une partie des ces ornements nous est parvenue – grâce entre autres à Mozart et Mendelssohn – aussi on ne peut aujourd'hui qu'imaginer la splendeur de cette œuvre, tout comme on devait le faire avec les fresques de Michel-Ange avant la dernière restauration de la Chapelle Sixtine.

Je te laisse avec ces pensées. Demain Jeudi Saint tu as rendez-vous avec Tallis, Gesualdo et Poulenc.